mercredi 31 octobre 2007

La valeur création

Lecture du Rapport Lévy-Jouyet, soit : L'Economie de l'immatériel. La croissance de demain. Rendu au Ministère de l'économie, des finances et de l'industrie en novembre 2006. On s'étouffe presque de choses à en dire, fieffé. On y est, tellement ; au coeur de la machine discursive et politique du néocapitalisme. ça commence avec les auteurs à qui le Ministère a fait appel : Jean-Pierre Jouyet est chef du service de l'Inspection générale des finances à l'époque - et il s'agit bien du rapport de l'Etat aux conditions de production d'époque, puisque la base est la question de la fiscalité. Base esquivée, d'ailleurs, le regard déplorant par divers biais la difficulté de trouver une assiette fiscale à cette valeur dématérialisée délocalisée et se tournant délibérément sur chaque considération vers "le monde de l'entreprise". Ces "de" aux grammaires doubles : le monde que nous fait le néocapitalisme ; la culture ("d'entreprise") que nous fait le modèle politique de l'entreprise. Maurice Lévy est Président du Groupe Publicis (note : agence de publicité française, fondée en 1926, 4,13 milliards d'euros de revenus en 2005, 4,39 en 2006 ; inclut Saatchi & Saatchi ; M. Lévy au Directoire depuis 1987, et Kevin Roberts depuis 2000).
Aussi : apprécier encore l'outil perçant que donne Internet, en mettant à disposition ces types de textes, textes officiels et rapports, dans une circulation publique neuve. Nouvelles conditions du débat public, certainement.

Mais quelques pointes :

. la création, question clé. Donné comme exemple, dans le contexte britannique et la publicité, comble et pointe des nouvelles formes immatérielles de la production de valeur (encadré p. 54). Dans le cadre britannique, une full Creative economy, creative industry. L' "imaginaire" devient un "secteur", son existence explicite et valorisable dans le circuit économique donc ; "création et créativité" de nouveaux objets ou moyens dont il peut s'emparer ; "créatifs" un nouveau concept socio-professionnel, nouveau sujet du travail : "Si chacun est doué, certes à des degrés différents, de 'créativité', seule la publicité fait travailler des 'créatifs', profession identifiée à partir d'un adjectif substantivé universel." Amazing sensibilité linguistique dans un contexte de langue assez boisée. Où les savoirs langagiers et culturels tournent rapidement court dans le ton d'émerveillement avec lequel les rédacteurs poursuivent : "ce processus [brainstorming collectif, "partage d'un 'langage' commun, ou plutôt d'une culture et de valeurs 'communes' [les guillemets sont savoureux ici] (cette approche a été théorisée par Kevin Roberts, CEO de Saatchi & Saatchi)"], qui demeure 'mystérieux' pour les praticiens eux-mêmes, vient d'un équilibre toujours réinventé entre la logique et le magique, entre la science et l'art. De fait, la plupart des agences répliquent à chaque niveau de leur organisation comme pour chacun de leurs projets des binômes associant 'créatifs' et 'planners'. Il est important pour arriver à des campagnes efficaces que ces deux métiers soient clairement dissociés." Plus loin : "L'objet publicitaire peut ainsi devenir oeuvre d'art [l'absence d'un article fait juste une petite faille, juste] ; l'idée créative repose sur des professionnels qui sont de véritables créateurs. D'ailleurs nombre d'entre eux ne travaillent pas seulement pour la publicité mais également pour la photographie d'art, les films d'animation, mais aussi des longs métrages : ont ainsi par exemple commencé par la publicité avant de changer d'art [!], Etienne Chatilliez, Ridley Scott, Spike Lee ou Satyajit Ray." On peut ajouter Rushdie.
J'avais repéré un nombre de publications récentes dans les sections business de Barnes & Nobles l'an dernier, avec comme clé bibliographique et conceptuelle creative. Il faudrait que je retrouve cette trace. Comme nouvelle pousse de la nouvelle économie. Il me semble que c'était regardé du point de vue des individus : un nouveau type de travailleurs, nouveau type social, fait justement exploser les "catégories socio-professionnelles", car prenant en traverse des publicitaires, des artistes, des chefs, etc.
A noter également, une équipe CNRS (ou autre* - dont j'ai entendu parler dans le contexte du CNRS) qui s'identifie par l'objet, transdisciplinaire, "Création". "Création" permet des transfuges, des passages, avec leur créativité et leurs troubles. Justement. Ce point, crête.
* après vérification, c'était plus dominant que ça : l'une des 4 lignes de la programmation ANR 2008, "Création : acteurs, objets, contextes" (aux côtés de "Gouverner - administrer", "Les formes et mutations de la communication : processus, compétences, usages", et "formes de vulnérabilité et réponses des sociétés").

. évaluation et valorisation. Mots clés. Il s'agit d'une machine de la valeur : la proposition, l'imposition, d'un système de la valeur et de ses moyens - et de ses effets sur la chose publique. Le brevet, comme type.

. l'entreprise et l'institution. L'Etat est mis en jeu, mis en question, dans le rapport. Par la question de la fiscalité, celle de la réglementation, celle de la propriété intellectuelle, la politique de la recherche et de l'enseignement. Par, aussi, le patrimoine immatériel. Biens publics - sur lesquels on louche de manière décidément sinistre.
Mais aussi, une remarque : pourquoi l'entreprise semble-t-elle rester une institution, dans cette dématérialisation, déterritorialisation tous azimuts? La famille, la "Nation" (p. 45), la fonction publique, la catégorie socio-professionnelle et le métier, le travail, l'usine, le lieu de travail, le temps de travail : se disloquent et fluent. L' "entreprise" semble tenir, dans ces discours. A voir.

mardi 30 octobre 2007

Savoir et société

Il s'agit de la production des savoirs publics.
La question se présente comme ça, en ce moment.

Actualité des disciplines

A noter, comme note d'ambiance, et à-suivre : la reterritorialisation, tout naturellement, des disciplines dans cette nouvelle époque de LMD 2. Comme quoi l'interdisciplinarité réclamée précédemment était moins (s'en étonne-t-on ?) un objectif scientifique qu'un outil de désorganisation, fragmentation, "mobilisation" des équipes de formation. Ayant pour effet maintenant facilement repérable les déracinements des pratiques et des individus, désinstitutionnalisation. Puis seconde "vague", tout naturellement, le retour des antiques réflexes - lisibles dans la Lettre aux éducateurs (Sarzkozy, sept. 2007), dans les fatigues à l'innovation ressenties sur le terrain des universités, dans les "normalisations" toujours plus larges à Paris 8 ("propédeutique", etc. Des mots tombent dans les énoncés comme des galets, plonk, plonk, opération bien repérée chaque fois).
Plus elles sont vieilles, moins elles sont des disciplines.
Cet étrange mixte de conservatisme et de révolution droitière. Le moralisme de l'innovation. Cette logique.

Traduction

Très simple, bien entendu : non pas - il faut toujours l'enlever du chemin, on peut en devenir impatient, une mouche qui revient au galop - traduttore traditore, mais traduction tradition.
C'est l'un des moteurs de la philologie, une science du langage en culture, qui a une histoire épaisse.

Dans : l'histoire

Très simple, bien entendu : pour être au plus près, quand il s'agit de désigner l'horizon des rapports, parler non pas : de monde (philosophiant, avec un angle phénoménologisant), de réalité (sociologisant), ou même de société et de sujets, mais d'histoire. Situation. Présent. Contexte.
On parler aussi de vie - il faut alors mettre un grand poids dans les mots, y impulser un mouvement sans équivoque par un contexte d'énonciation, au risque des ambiguïtés, conceptuelles et donc idéologiques. On peut s'en fatiguer.
Or, il y a à filer.

dimanche 28 octobre 2007

Techniques de mobilisation

Lisant C. Salmon sur le storytelling, je rentre dans le jeu des passages de citation : Salmon cite S. Tchakhotine (Le Viol des foules par la propagande politique, 1952) qui cite Chesterton : "le progrès consiste à être poussé en avant par la police."
Dans les plans conceptuels de l'historicité, il y a la branche de la modernité, puis celle de la "modernisation". Le contraste des puissances est impressionnant. Mais certainement, la culture de l'urgence, la pression du flux tendu, la stratégie de la réforme à répétition, le bougisme, le moralisme du dynamisme et l'idéologie de la croissance compétitive, le short term, nous font un régime du temps qui est infiniment "utile" - technique de mobilisation. Soit, de démobilisation politique.

vendredi 5 octobre 2007

Politique de la personnalisation

Note de journal : parce qu'il n'y a pas de personnel :

Pour continuer à comprendre « je ne suis pas seule » : (j’écrivais dans un journal personnel un peu plus tôt dans cette période de rentrée, où s'agite et nous agite toute la question de la vie universitaire, et intellectuelle : « Non seulement je ne suis pas seule, mais aussi : ma vie est politique [soit : reprise du frayage féministe des années 70 : the personal is political]. Les pressions que je vis, les coordonnées de mon personnel, sont politiques – ne pas penser qu’on est dehors, ni exclus ni au-dessus. C’est un des facteurs de « je me trompe » [soit : l'épuisement au travail est à prendre comme le symptôme d'une erreur sur la nature du travail, intellectuel]. C’est aussi pourquoi je partage la responsabilité de l’action, de la résistance, des « résultats », avec le social, le professionnel, etc. » ) – c’est que la responsabilité n’est pas personnelle. La personnalisation est l'effet de la politique de la droite durcie actuelle, et une branche de sa grande stratégie très cohérente d’individualisation ; qui marche avec la people-isation (c'est ce qui en fait l'actualité, ce qui lui donne son petit goût spécifique, où il y a à réfléchir aux moyens nouveaux nécessaires pour une analyse et une réponse) – écho du très reconnaissable « get on your bike » de Norman Tebbitt, à la révolution thatcherienne. Un sujet droitier, et libéral : celui pour qui on sacrifie le souci du social : "there is no such thing as society". La société rattrape toujours ses dénégateurs, naturellement, mais ce n’est pas sans déchirements.

A Paris 8, dans le quotidien d’une vie à gauche ; la responsabilité n’est pas personnelle. Il y a une agence individuelle, ou précisément pour ne pas confondre, on pourra la dire subjective, ou de singularité peut-être, en termes de la philosophie des multitudes. Celle de la créativité, qui invente aussi des sujets à géométrie variée, blocs subjectifs et agencements énonciatifs. C’est l’agence active, politique. Il s’agit de continuer d'apprendre à en connaître la puissance sociale, socialisante et subjectivante.

jeudi 4 octobre 2007

Livres et idées

D'un coup, "livres", "idées", "livres et idées", comme syntagme. D'où ça vient ? ça me paraît marqué, et tactique. Je ne sais pas le lire ; je tâtonne des devinettes. Faut aller voir les pans de discours. La Revue des livres donc, et maintenant Nonfiction, "portail des livres et des idées".
Des choses évoluent, étonnantes, pas forcément celles qu'on avait prévue, attendues.

lundi 1 octobre 2007

Evaluation - domination de la valeur

Il en vient de tous les côtés ; campagne massive et articulée ; et aussi simplement idéologie présente partout reconnaissable et partout pratiquée. Entrée dans la chair des instances et des procédures de leur fonctionnement.

Je reçois ce matin un appel à réunion, à mobilisation, encore une fois, "urgente", adressé aux Ecoles doctorales et directeurs de recherche de Paris 8, dans le cadre d'une "Etude sur l'identité professionnelle du doctorant". L'étude doit porter sur 4 sites ; en quoi P8 lui sera un point d'observation utile tactique ? Tout un faisceau de mots-valeur et de pressions, canalisations, mots d'ordre :
  • des instances, dont je n'ai jamais entendu parler, je les pense nouvellement (et opportunément) créées : le Haut-Comité (qu'est-ce que c'est que ce statut, dans le MEN ?) Education Economie Emploi, petit nom HCEEE. Manifestement un produit institutionnel issu des crises du CPE, et de l'espace de "débat" ensuite ouvert, comme grand masque sur les problèmes, par J. Chirac, Université-Emploi. Quelle est la mission de cette instance ? Ses pouvoirs ? Sa fonction politique ?
  • la Direction de l'Evaluation, de la Prospective et de la Performance (soit DEPP), émanant du Ministère chargé de l'enseignement supérieur et de la recherche. Comment ce corps se positionne-t-il par rapport à l'AERES ? Quels doublons et réimpositions - qui densifient encore le tissu opacifiant du fonctionnement de la valeur pour la politique actuelle du savoir ?
  • ils s'associent, pour lancer cette étude - prolifération, superpositions, stratégie de l'usine à gaz et de la langue de bois, technocratie très particulière. Que fait-on des instances qui étaient en place, dans le précédent état du système de la valeur ?
  • l'étude : quelle est la différence entre une étude et la commission d'un rapport ? Etude, conseil, expertise : formes contemporaines du savoir et de la politique du savoir.
  • le cabinet Technopolis France est mandaté pour effectuer l'étude ; sollicite à son tour les "sites". Cabinets d'expertise, qui se substituent graduellement, pan après pan des activités sociales et publiques, à la fonction publique. Site à voir pour ouvrir cette fenêtre sur le management de la valeur.
  • objectif : "apréhender la manière dont se construit l'identité professionnelle du doctorant et identifier les motivations et obstacles à l'orientation du doctorant et du jeune docteur vers une activité professionnelle autre qu'académique" (je ne sais pas qui parle ; l'appel est présenté par le secrétariat de l'ED). D'abord le doctorant : un profil, un produit ? Qu'est-ce qu'il y a exactement dans ce singulier qui fait dresser l'oreille. Pour commencer, un écho des processus d'individualisation qui accompagnent toutes les stratégies de l'évaluation dans le paradigme postindustriel du savoir ; puis une sorte de ton de la technocratie, qui manages to individualiser en dépersonnalisant. Puis : l'identité professionnelle : les échos sont à la fois vers identité nationale (il y a une politique de l'identité en France actuellement) et vers insertion professionnelle (puisqu'on a aussi "orientation"), et les tisse ensemble comme pan d'idéologie. Une idéologie aussi est une "théorie d'ensemble". Ces bribes, qui fonctionnent sur des plans qui semblent indépendants et pourtant retissent leur cohérence - un fonctionnement réminiscent de la LTI donnée à entendre par Klemperer.
  • on pousse donc vers une activité pro "autre qu'académique". Ce n'est pas, justement, présenté comme une réponse à une situation préoccupante des jeunes docteurs au chômage.

Texte d'accueil de Technopolis :

" Welcome to the Technopolis web site.

Technopolis provides high quality, practical, knowledge-based research, advice and management support services to policy makers and those responsible for putting policy into practice.

We focus on science, technology and innovation and policies for economic and social development. We support the entire policy development and implementation cycle from concepts through policy development and programme design, management and evaluation as well as the development of governance and institutions. The common thread in our activities is that we work with the creation of knowledge and its practical application in society. The Technopolis group is a European organisation with a staff of over 55, based in Amsterdam, Ankara, Brighton, Brussels, Paris, Stockholm, Tallinn and Vienna, often working in multi-country and multidisciplinary teams. We have working experience of some 35 countries. As a result, we bring an international perspective to our projects at the regional, national and international level.

This web site provides information about the Technopolis group and examples
of what we do. Some of our reports and articles may be obtained from the 'Downloads' section. If you would like to access others or have any comments, uggestions or requests, please contact us at info@technopolis-group.com ©
Technopolis 2007 "

Texte d'accueil de la branche française :

" L’équipe de Technopolis France est basée à Paris. Nous bénéficions d’une expertise approfondie en matière d’évaluation sur les questions de science et de technologie, ce qui comprend notamment l’évaluation des programmes publics et le management des institutions scientifiques. Nous avons évalué avec succès plusieurs programmes majeurs, donnant lieu à de réelles améliorations. Par exemple, en 2001, les résultats de notre évaluation étendue des programmes de l’ANVAR, qui soutient le développement de produits et de procédés innovants dans les petites et moyennes entreprises, ont été largement repris par l’Assemblée Nationale au cours de son examen du programme national. De même, notre évaluation du PREDIT (Programme national de recherche et d'innovation dans les transports terrestres) a permis d’identifier les technologies clés pour soutenir les projets de long terme de ce programme, qui représente une dépense de plus de 10 millions d’euros par an.

En 2002-2003 nous avons réalisé plusieurs autres évaluations importantes en France : l’évaluation du RNRT (Réseau national de recherche en Télécommunications, pour le Ministère de l’Industrie: un résumé et le rapport complet peuvent être téléchargés sur le site du RNRT), celle des «PAI Europe», le programme d’actions de mobilité bilatérale entre la France et les autres pays Européens (pour le Ministère des Affaires Etrangères), et celle de la politique de contractualisation entre l’Etat et les universités (pour le le compte du Comité National d’Evaluation - cliquez ici pour obtenir un résumé de l’étude et acheter le rapport final). Nous sommes également très impliqués dans l’exercice national de prospective du système d’innovation «FutuRIS», pour lequel nous avons réalisé une série d’études et occupons une place de rapporteur et de conseiller méthodologique. A la demande du RNRT, Technopolis France a en outre mené une étude sur les roadmaps dans le secteur des télécoms, qu’il est possible de télécharger ici. Nous avons récemment assisté Angers Technopole dans le montage de son observatoire des laboratoires au niveau régional. Cliquez ici pour plus de détails.

Du fait de l’expérience pratique de notre équipe, nous avons souvent été sollicités pour développer des programmes de formation. L’exemple le plus éminent est une série de cours sur l’évaluation de programme assurée régulièrement pour la Commission Européenne. Jusqu’à aujourd’hui, plus de 150 membres de la Commission y ont participé. Nos autres activités fondées sur la formation comprennent notamment le développement d’outils managériaux pour des projets de R&D de long terme et des outils de mise en réseau pour des équipes de recherche multi-partenariales. "