mardi 29 juillet 2008

Un ethnologue

Le travail d'Abélès dans Un Ethnologue à l'Assemblée (2000) - autrement d'ailleurs que pour l'Anthropologie de la globalisation - me laisse finalement perplexe. Je cherche l'ethnologique de ce travail, alors que je garde en oreille l'attention marquée, le soin de réflexivité, de Beaud et Weber. La conclusion, par exemple, me paraît mal produite par le travail présenté dans le corps du volume - elle relève parfois plus de l'opinion personnelle, alors, que de l'interaction ethnographique. Et finalement du lieu commun ; un infra-scientifique qui reste, dans le contexte de cette exploration de méthodologie, intéressant, suspendu dans le processus d'une valorisation possible comme opération scientifique. De "l'observation participante", peu de marques remarquables comme effectivement opératrices de scientificité - seulement, les "je" en effet présents, et les remarques de ressenti et d'expérience, de l'observateur comme des observés. Et les lignes de fuite comparatives avec l'ethnographie dans sa tradition d'exotisme m'apparaissent toujours un peu artificielles, comme sollicitées, forcées, voilà ; de l'ordre d'un extérieur, cherchant peut-être une fonction de caution, ou d'écoute de ce qui se passe dans ce décentrement vers un exotique intime (la "vie politique" locale ; le "microcosme" du Palais-Bourbon) - mais finalement peu de choses sont produites dans cette chambre d'écho, qui est avancée comme la proposition théorique-épistémologique.
Je pense à l'un des thèmes qu'Abélès se donne à explorer : la publicisation, comme processus politique du parlementarisme. Analyse fine, suggestive, de la double énonciation parlementaire : débat, ou échange (entre), et adresse (à) (312-313). L'ethnologie aussi, comme science : procédé, activité, de publication. Mais c'est sa scientificité que je trouve mise en question dans cette étude : comment le compte rendu de terrain - avec son ambition, si science il doit y avoir, de faire quelque chose à la fois au "lieu du politique" et aux moyens collectifs de son analyse -, diffère-t-il, se singularise-t-il, d'une simple vulgarisation : énonciation de type informatif ; récit de voyage, récit d'exploration, avec même un versant instruction civique nationale, etc. Je sens mal l'inventivité épistémologique, et sa part critique apportée. Alors que je cherche, dans l'ethnologie, et ses réinventions modernes - dont Abélès est l'un des repères pour moi pour l'instant -, ces apports, affinages, recontextualisations, et forces de modernité, des sciences de l'étranger. Je sens mal le travail du point de vue, qui me semble devoir être (depuis lecture de Beaud & Weber) le coeur de l'activité ethnologique.
Rapport de public ; théorie du public.

Par distinction, il me semble que se dessine alors mieux ce que j'attends : l'ethnologie (peut-être - mon nouveau plan d'espoir) comme science analytique du rapport, et micro-polémologie.
Etude, et développement des moyens pour l'étude, des rapports sociaux : dans leurs systématicité (d'où un positionnement épistémologique qui m'intéresse : lui-même soustrait aux souffrances immédiates du polemos, par la sagesse théorique d'une anthropologie des rapports, soit, soigneusement, historique - d'où un intérêt pour les stratégiques de Foucault et de Certeau, à ... "explorer"). Les rapports et non les identités, comme point d'observation : les équilibres, les interfaces, les dynamiques de légitimité et de production collective des normes (et pas seulement de force - qui dit, lu dernièrement, et prenant appui différentiel sociologie/anthropologie sur Bourdieu : rapports de sens et rapports de force - Beaud & Weber, je pense), les surfaces sociales d'échange et d'inter-, les négociations de la diversité - observables par une science du point de vue ; science des jeux du social. Position, place ("se faire une place"), par les analyses des espaces, géométriques et signifiants - étudiés ici dans la topographie du Palais et des places de parole. L'ethnologie science des places et des positionnements culturels : des situations. (Et sachant, éventuellement, la nature globale, dans dissection possible, des situations comme blocs présents d'ordre énonciatif : sachant se munir d'outils de "participation". Science réflexivement, implosivement, culturelle.)
L'ethnologue à l'Assemblée soulève, au mieux, ces équilibres des pouvoirs et contre-pouvoirs (261) ; isole et identifie les phénomènes de critiques (268, 284) : zones de frictions, où de l'identitaire se met en question, au travail du rapport. Identifie ses objets : usages, fonctionnement, "la vie quotidienne". Le "lieu du politique" (Abélès, Le Lieu du politique, Paris, Société d'Ethnographie, 1983) : temps, et organisation sociale et matérielle, du social, comme politique et comme culture.

Je trouve, au fil du Diplo (août 2008, 12), une accroche importante : l'article rapporte l' "Insolite face-à-face entre ouvrières et actionnaires" chez LVMH, et note dans sa chronique de cette guerre un niveau d'observation polémologique qui m'intéresse : non pas seulement l'affrontement catégoriel, qui hypostasie le champ de forces, mais : "Entre petits porteurs, banquiers, management, fonds de pension, la 'dictature du capital' a des conflits internes à régler." Il me semble qu'une ethnologie sait faire ça, en spécification par rapport à une historiographie ou une sociologie (statistique), par exemple. Les lignes de fractures partout, intimes, dynamique de fourmillements. Les forces sociales des résultantes et des cristallisations ; toujours en reprise, locale. C'est une autre polémologie - et l'attention au quotidien, Certeau, en enseigne quelque chose de spécifique, et d'infiniment précieux, pour ne pas se tromper sur le cours politique.
Pas les groupes, mais le bloc moléculaire, en recomposition fourmillante ou faisant oeuvre - Deleuze & Guattari. (Mais sans la physique.)

J'en viens à, par la polémologie : l'ethnologie, comme science des différenciations anthropologiques, ou sociales. En ça, science de l'étranger, et en ça critique des philosophies politiques. Science des conflits internes aussi, par exemple. Rapports, conflits, identité en histoire. (Je trouve un mot qui va bien, aussi, pour désigner une autre zone de la question, dans Le Droit comparé (P. Legrand) : une cratologie. )
=> à continuer à penser en rapport (de distinction) avec la distinction (Bourdieu) : opérateur social et opérateur de sociologie.
Le rapport de culture, comme rapport différentiel. A mettre en rapport aussi avec le mode épistémologique du général, par Saussure : le différentiel linguistique comme historicité.

Je ne sais pas bien où je me retrouve, en suivant ces lignes du peuple et de l'étranger, langage et culture, histoire. Certainement dans une "anglistique" française délocalisée, ahurie. Et entrant dans un espace qui me paraît bien parcouru par la pensée américaine, et les traditions des sciences sociales. En France, ces lieux inconnus, et nouvelle expérience des cloisonnements disciplinaires vraiment forts (des pans complètement aveugles, depuis le lieu d'où j'ai appris à regarder) - je ne le savais pas.

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