lundi 10 décembre 2007

Notes sans but - engagement, engager

Il s'agit de travailler où ça engage. Où ça prend, rencontre quelque chose du présent. Résonne, fait du rapport, du sens donc.
Laisser l'orientation se prendre avec l'intelligence (on espère) d'un rapport à la situation. Pratique du contemporain. (On y est acteur et emporté à la fois, agi).
Laisser le cap se déterminer, aller vers les curiosités, les pentes, les lignes de moindre résistances, les appels d'air. Laisser bien la direction souple de ça. En vitesse. Ce n'est pas une morale : ce savoir politique-théorique qui se forme est actif dans le plan de l'histoire. Laisser le corps aller vers les modes de vie.
Aux lieux du here and now. Qui deviennent des lieux. Points critiques points cardinaux. Cap au pire (Beckett) ; cap vers la fin du jugement (Deleuze et Guattari avec Nietzsche et Artaud. Et Lawrence d'ailleurs).
L' Eloge du conflit dit : assumer l'époque. Je continue à écouter ça, à regarder vers ce qui s'ouvre avec ça. Déceler - ou plus exactement : créer, co-créer - ses zones de pousse et de turbulences, où pousser.

De même, pas la critique comme décisif.
C'est un autre monde de l'engagement -- cette possibilité de l'envisager me vient à la fois de la currency de to engage, to be engaged (of students), dans le discours intellectuel américain ; peut-être de l'Eloge du conflit ? (oui : ce que les auteurs font de Sartre, en le bousculant par Deleuze et Guattari - sans rien dire du déplacement, d'ailleurs) ; et des prises de distance avec les modèles militantistes de l'engagement, dans la recension d'Yves Citton dans la RILI de ce mois.
C'est un autre monde de l'engagement. A serrer, simplement : la question de poétique là ; son frayage problématique spécifique. Lieu de plus grande puissance critique.

Engager une situation. Engager, comme actif. On engage : une action, un devenir, ses forces, son travail et son temps ; son devenir éthique (B. Cassin : "car traduire engage aujourd'hui"). Et non "s'engage" - car alors c'est le fameux "se" de la phénoménologie qui fait le travail pour nous, soit contre nous. Engagement sartrien, qui est un continu de "être embarqué", du chiasme sujet-monde, du "prendre langue avec", et du concept même de monde (concept sartrien-phénoménologique, de la situation "en 1947" donc - date, et état de la pensée du sujet et de la société) comme ce à quoi il y a à agonize over construire un rapport avec lui, de l'envelopper, etc. Le "tour" derridéen est aussi une variante en volute, raffiné.
Engager : qu'un bloc se forme, qui devient acteur actif comme agencement et force - engageant ensemble des individualités attirées dans son mouvement : personnes, plans et corpus conceptuels, institutions et formes-pratiques culturelles, ...

mardi 4 décembre 2007

Y a pas à s'énerver

Instruction pratique ("concrète"), par la situation, à la vie politique, ces temps de LRU, interesting times. Et lisant Eloge du conflit, de Miguel Benasayag et Angélique del Rey (La Découverte, août 2007), avec leur continuation de Deleuze et Foucault, par Spinoza et Héraclite.
Ce qu'il y a c'est : pas le ressentiment mais le créatif, pas l'affrontement, pas les décisions et les moments décisifs (ni donc leur autre, temps faibles), pas les résultats mais les résultantes. Pas les solutions mais les situations, les assumer. Tous termes de l'Eloge.
Qu'est-ce que je tiens par là?

La question est : où est, se fait, la vie politique. Here now, oui dans les AG maigres, et leurs houles de discours sans totalité sans visage, dans les tiraillements et minableries et malentendus et retards à l'allumage et méconnaissance ignorance conservatismes de tous ordres, les enjeux croisés, crépitant comme des étincelles, désordonnés désordonnants, et des illuminations, rares inopinées peut-être et précieuses, d'intelligence de la situation. Oui rarement le coeur des questions, la rencontre même des questions, etc., plus que les individus ou paroles individuelles par lesquelles du sens, fort. Mais c'est bien là, bien ça, la vie politique ça, comme ça. On peut descendre dans un horizontal de participation tranquille, avec une énergie nouvelle et disponible, au large, avec ce simple décrochage qui est une écoute du présent. Faut savoir trouver le pas, pour y descendre. Ces savoirs politiques sont rares, inaudibles, je ne les ai jamais croisés ou jamais reconnus. Par quelle idéologie de longue haleine ils sont muffled.
La vraie vie (politique) n'est pas ailleurs. Rien de "vrai", qui rendrait ces éclatements ces pauvretés infra-politiques.

L'opposition est, les oppositions de tous azimuts (l'Eloge dit : multiplicité) sont, qui créent les positions et les lignes de conflit, dans le maintenant de la vie politique et de la politisation, bonnes à avoir, on en a soif, c'est ma vie. De même, mais autrement, également, le travail du minoritaire, et de la minorité comme agent démocratique institué par système.
Il y a une mondanité, et une publicité, politiques, qui nous font un horizon étriqué. Pas si difficile pas si facile de step aside.

dimanche 25 novembre 2007

Critique et présent

Oui, aussi : que dans le travail critique, il s'agit simplement d'être son propre contemporain. Collectivement donc - ce collectif tiraillé qu'est le collectif démocratique, dans ses divers plateaux. Le critique est politique par ce qu'il, dans la mesure où il, est autre chose qu'un dialogue - société du débat et des négociations et de la communication rationnelle. Participation, nous. Mais par. Le critique est social socialisant en ce qu'il est le courant mouvant précipitant du présent. Etre "nos", diversement nôtre, contemporains. Et c'est devant. Woolf sait ça ; Stein ; les Modernists, comme théoriciens du politique.
Pas de société, seulement du contemporain.

Tiens, m'amène à noter ici un jalon intéressant : le volume The Jewish Writings, de H. Arendt (NY, 2006), commenté par Judith Butler dans la RILI n°2. L'Etat-nation, et son implication nécessaire des masses de sans-états. Le peuple juif comme cas critique pour penser la nation, le peuple, l'état, la souveraineté, le territoire, les collectifs culturels migrants, la fédération de groupes aux intérêts divergents, la non-totalité dans les formes de l'état.
De même, par un autre versant, la critique de la démocratie pour ses refoulés du conflit comme éléments anthropologique dans l' Eloge du conflit, de Miguel Benasayag & Angélique del Rey (La Découverte, sept. 2007).

Scientificité et militance

Je débouche encore, en cherchant cherchant où me mène l'appel d'air critique puissant du côté du capitalisme cognitif, sur la question du rapport entre scientificité et militance. Du travail critique public en démocratie (mais laquelle), du rapport professionnel à la tutelle, de ce paradoxe - soit tension sociale sans paradoxe, la situation sociale elle-même - du travail intellectuel comme profession, la critique comme contribution sociale placée dans un rapport à l'autorité, et dans un rapport de pouvoir.
Je cherche seulement, il n'y à chercher que, si on veut chercher depuis la scientificité, la discipline (càd avec son historicité - Saussure : la linguistique, science critique et historique ; ce point de tenue, éthique scientifique, pratiqué par la question de savoir ce que fait un linguiste), quels modes conceptuels deviennent nécessaires, ceux en place nécessairement chamboulés, dégagés du chemin qui trace avec son urgence sa nécessité. Quelles disciplinarités ; et quels rapports à recomposer de l'activité de savoir au paysage institutionnel et au régime social et idéologique. Ce qu'il y a à déraciner des pratiques parce que c'est déjà devenu sans pertinence, tournant à vide, déjà seulement de la reproduction, avec ses dégâts.
Je prends ce trope idéologique présent de la "société de la connaissance" par la question des disciplines. A B. Cassin je veux demander ce que la philologie (la sienne) répond au formatage de la recherche par le moteur de recherche et comment. Ce que fait un(e) philologue, à la culture contemporaine. Ce qu'une science "humaine et sociale" fait comme critique culturelle - soit comme production de société. Production sociale et production de société ; socialisation, politisation. A C. Salmon demander ce que la narratologie contemporaine fait au trope idéologique du storytelling ; à la culturologie de Benveniste ce qu'elle fait à la politique de la culture déployée par la mondialisation et les mondialités.
C'est pourquoi les termes dans lesquels Paris 8 répond à la situation actuelle est bien vue : répondre depuis la question : l'université critique.

Travailler où ça engage, où ça mord. Planter un jalon lancer un feeler, grappin, et tirer l'historicité d'une longueur de corps. On est étonné de se retrouver là. Faut cartographier à neuf, et trouver comment respirer ; vivre et vitaliser.
Courant derrière Mrs Brown, avec la joie woolfienne et les cheveux en bataille, toutes épingles à chapeau flying, mais aussi avec le déchirement aux tripes des souffrances sociales dans ces recompositions. Et modes de domination. Suffocations du social.

Connaissance, profit, non-profit

Si j'ai une contribution à proposer aux travaux de Paris 8 dans le cadre de la journée Université critique (samedi 1er décembre), contribution aux "cours alternatifs", à la grève active etc - soit, une situation qui m'intéresse centralement : la réponse scientifique aux confrontations politiques actuelles - ce serait en invitant l'attention à se porter sur un élément de contexte large, disons en une gobée : la société de la connaissance. D'où le programme du séminaire Diversité des langues de cette année, "La société de la connaissance : vocabulaire et institution" (argumentaire consultable en ligne)
L'intérêt de cette attention est d'ordre stratégique - ce que j'entends comme autre chose qu'un état dégradé de l'action politique : un caractère programmatique de l'activité ; un effort, travail simplement, pour orienter le regard vers les "flux" (voilà que j'ai Deleuze et Guattari dans le corps) de plus grande puissance conceptuelle et critique. Il s'agit de désamorcer, laisser passer sans panique les houles de la crise, sans se dérater, sans danser au rythme imposé par les techniques de l'urgence - modes du contrôle politique par la réforme et par la transformation du système de la contractualisation quadriennale en machine de menace pression fragmentation mise au pas, éventuellement de type paranoïaque : self-imposed car fantasmée. (Moins on définit les critères, plus on les libéralise, plus ils exercent cette pression caractéristique.)

On peut passer à une autre temporalité critique ; vivre et analyser la crise présente comme moins une nouvelle étape d'une série maintenant longue et répétitive et produisant sa battle-fatigue propre - avec les démobilisations, les inerties et les plus-rien-à-dire, les retards de réaction des syndicats - que comme le phénomène de mutations moins locales, moins sectorielles, moins conjoncturelles, auxquelles répondre par un travail de fond autant, aussi, que par une réaction militante d'action protestataire. Moins une crise qu'une mutation, comme ensemble culturel massif, lent et revolution-quick à la fois. La situation de la recherche et de l'enseignement supérieur à penser nécessairement dans le contexte élargi du capitalisme cognitif, donc de la société de la connaissance, donc de la construction de l'Europe. Et du modèle américain du système de production mondial. Soit : les conditions de production des sociétés contemporaines, une idéologie des savoirs associée à elles, avec ses politiques réalisées, un mode politique et une géopolitique. Société, culture, politique et géopolitique - ce complexe, cognitivo-(post)industriel.
Ici, par exemple, un point, que me rappelle ELB à la séance du groop de vendredi : le modèle américain, qui sert sur de nombreux plans à l'utopie néolibérale française, propose un concept et une infrastructure sociale qui est méconnu par les translations européennes, françaises tout parculièrement. La notion de non-profit, et de non-profit organizations, not for profit organizations. F. Martel dans De la culture en Amérique fait son travail de passeur pour la donner à connaître, et à montrer ce qui se joue dans son ignorance dans le débat public français sur les taking apart de la fonction publique. ELB le traduit par mécénat, et contraste avec partenariat : deux modèle de l'introduction de financements privés dans les affaires publiques, l'université et l'enseignement et la production des savoirs publics (produits par le public et pour la société, la vie des sociétés). L'un privatisant, dans la logique du capital : monopolisation des plus-values sur les produits, jusqu'à composer des situations de sous-traitance : les universités, les institutions publiques, comme productrices, mises au travail pour générer du retour sur investissement et multiplication du profit. Un détournement de la valeur sociale. Transformant les statuts des travailleurs, producteurs, dans le cadre de contrats privés - là, alors, tout ce qu'on connaît des nouveaux modes du travail ou de sa disparition. L'autre investissant par les formes de la fondation, mettant à disposition des financements pour la production elle-même, en direction de la société. Sans ignorer les modes propres de détournement et récupération de valeur, nécessaires, ici, il reste crucial de déconfondre les deux modèles dans le débat discursif quotidien de ces semaines et années. Ne pas faire passer l'un pour l'autre. Sous-traitance, ou production sociale.

samedi 24 novembre 2007

Réponse par le discours

Bien entendu, je retrouve tout naturellement sous mes pas, je regarde sans étonnement (autre que celui de n'y avoir pas pensé avant - c'est le temps de la vie politique) comment au milieu d'un étranglement historique - verrou de confrontation avec les conflits sociaux actuels, fonction publique, régimes spéciaux de retraite, résistance aux réformes de l'université - je tourne vers le discours. Comment il y a à tourner vers le discours, et à trouver, éventuellement soudain, des façons de qu'a le discours de se mettre à l'oeuvre dans un présent idéologique.

Mini breakthrough donc hier : travailler à la situation idéologique présente en constituant une archive des textes, analyses et déclarations qui se multiplient maintenant (latence, là aussi, mais qu'il n'y a pas à regretter - une rapidité de réaction du côté des étudiants, encore lancés dans la dynamique de mobilisation du CPE il y a 18 mois ; une rapidité de réaction mais dans des conditions d'un inaudible sociale comme situation discursive maintenant settled des travaux de Sauvons la Recherche ; et une lenteur de réaction des universitaires, qu'il y a à lire comme résultats des techniques de l'urgence, "réformes" et quadriennaux exigés à calendriers raccourcis, par lesquels ils sont ralentis et divisés). Ces textes, comme autant d'incisions discursives dans la masse idéologique, à rassembler, à rendre disponibles, travailler leur lisibilité, travail éditorial et culturel. Un projet pour Polart donc.

C'est toujours : chercher, retrouver, des modes de vie (moins spectaculaires même de d'action - pas d'héroïsme à chercher, mais la vie, praxis simplement-nécessairement) du côté de la ressource anthropologique, le discours.

Et : il faut publier. Travail culturel.

Critique et militantisme

En ce moment, une question qui se présente et donc s'offre au travail de distinction, d'affinement : le rapport entre le travail critique - professionnalisé dans les formes institutionnelles de l'enseignement et de la recherche, l'université et les équipes et les publications et les lieux extra-universitaires du débat intellectuel - et le travail militant, travail politique, vie politique.
Ce rapport n'est pas confortable. Qu'est-ce qui brouille, qu'est-ce qui génère de l'incertitude ? Sachant qu'un inconfort peut être lui-même institutionnalisé dans des structures sociales et simplement une praxis, et simplement un mode social, sans scandale et sans drame, simple processus du problématique. On l'appellera la séparation des pouvoirs, et le processus démocratique, par exemple. Voir. Sachant également qu'un inconfort peut être plus conjoncturel que structurel, et donc instructif quant à un présent idéologique - et aux frayages possibles de la vie dans ses conditions.
L'institution de l'opposition (en Grande-Bretagne, la notion de cabinet fantôme, et le front parlementaire qui met les deux partis en face, rituel de chien de faïence, avec ses immobilismes propres), et l'institution, la valeur sociale, de la critique et ses professions.
Sans doute dans Weber, des propositions sur le savant et le politique, et la situation sociale des intellectuels, l'intégration productive de leur travail dans le travail social.
Un rapport au pouvoir, certainement, et aux instances du pouvoir institué, élu, termes actuels.

Aux Etats-Unis la perspective des gouvernants comme serviteurs du peuple est structurellement/culturellement visible, active, dans les débats publics politiques. Ici une vieille histoire et une histoire épaisse de couches nombreuses, encore superposées et non relevées, de modes de domination brouille opacifie complique - la complication, l'histoire et ses rémanences multiples actives, comme technique de contrôle. Un conservatisme qui fonctionne comme une stratégie, une "vieille Europe", qui brouille la vision des enjeux d'une Europe néo, avec ses propres modes de domination.

Critique et militantisme : de même que pour n'importe quel travail - ici le continu ininterrompu -, il s'agit de la scientificité du travail. Répondre comme scientifique, non comme militant. Tenir ça serré - c'est ça qui force le frayage. Depuis la disciplinarité, questionnement des disciplines.
La pratique politique, militante, explore et compose d'autres savoirs - savoirs sociaux, expérimentaux, en particulier concernant le rapport de force ; et le rapport politique dans son intime.

vendredi 23 novembre 2007

Théorie : exercice de contexte

Si, comme je crois en avoir entendu la queue d'une rumeur, il doit se tenir un nouveau grand colloque à Nanterre sur "Whither Theory? " à la fin de cette année, j'aurais envie de m'y prendre différemment - je mesure ici un déplacement de perspective qui m'intéresse.
J'aurais envie de regarder en enfilade 1947, 1977, 2007 - too beautiful to miss, right? Cadre sans gravité historique, just a note.
1947 : "La situation de l'écrivain en 1947", Sartre et les notions de situation, et d'intellectuel, elles-mêmes situées et spécifiques. Donnant un jalon d'un contexte politique et théorique d'époque.
1977 : Deleuze sur les "Nouveaux philosophes" - et le début du tour contre-saussurien
2007 : what now? Un état culturel, politique, théorique, à travailler.

J'y pense en commençant à lire Jameson sur "Postmodernism, or The Cultural Logic of Late Capitalism" (1984, New Left Review), pour réfléchir au rapport actuel de la culture au politique. Question posée aussi, par une autre prise tout à fait, dans Taguieff (Les Contre-réactionnaires, 2007 : chez lui, culturel fonctionne comme pseudo du politique ; comme idéologie comme dégradation de la res publica. Il en va ici des conceptions de l'idéologie comme moteur du public, et des modes de publicité - république, nation, communautarismes et groupes, public généré par les oeuvres, les médias et les sondages, etc. - actuellement en concurrence. Ce point de regard est capital, et à tenir. En repassant par Dewey s'il faut).
Jameson donc : contextualisant la question de la rupture modernisme / postmodernisme dans une histoire (dont : mise en question des théories de la périodisation - soit, des théories de l'histoire et des sociétés), par le point de vue de son articulation à des modes capitalistes différents - passage à la société post-industrielle (dont le concept est rendu, précisément, à Daniel Bell). Mutations du capitalisme, et mutations non seulement de la culture, mais du rapport culture-société même. J'ai hâte qu'il arrive à son point, que j'espère peut-être à contresens, sur non seulement la logique culturelle du néocapitalisme, mais aussi sa logique culturelle. Culturalisation de la société. D'où une politique culturelle transformée, des enjeux déplacés, et un statut méconnaissable des pratiques et objects culturels et de l'art dans la culture et dans la société.

La théorie ici : est située. Et sa mise en crise, de dehors et de dedans, désabsolutisée. C'est aussi pourquoi les choses ne se présentent pas de la même façon pour "Whither Theory?" 2003 et l'éventuel "Whither Theory?" 2007.
Regarder donc ce qui se compose sur la table quand on appelle la question de la place de la question théorique dans son contexte culturel. Jameson, l'article de 1984 : "the political spirit in which the following analysis was devised: to project some conception of a new systemic cultural norm and its reproduction, in order to reflect more adequately on the most effective forms of any radical cultural politics today. / The exposition will take up in turn the following constitutive features of the postmodern: a new dephtlessness, which finds its prolongation both in contemporary 'theory' and in a whole new culture of the image or the simulacrum; a consequent weakening of historicity; ...". J'interromps ici pour faire une lexie digérable. La "théorie", située comme élément déterminant de cet ensemble culturel. Acteur d'époque - et non constante d'un rapport savoir-pouvoir aux coordonnées variables mais indentiques. Ce n'est jamais le même rapport ; lignes de clivage, lignes de front, recomposées, ailleurs, autre chose. C'est pour ça qu'on ne parle plus tant de théorie maintenant ; les problèmes ont bougé, emportant avec eux l'histoire des conflits et les positionnements idéologiques. La guerre de la théorie est une question d'époque. A prendre comme telle - pour ne pas vivre sur des cartes périmées, mais bien retrouver la question du savoir-pouvoir sous nos pieds, là où, et comme, elle est. Comme on peut la penser ici maintenant.

Dire que le débat a une situation aux Etats-Unis (Culture war, situation des universités dans l’espace public, dans la société, une configuration du savoir-pouvoir, et une histoire), différente de la française ou de l’anglaise (Cultural studies, tradition marxiste). En France, Cusset, l’anglistique, etc. Le retour du sujet, les réactions littéraires : Compagnon, W. Marx, Citton etc. Défense de la littérature : contre la théorie. Humanités.
Le débat n’est donc pas exactement - pas seulement - conceptuel. Il demande, en revanche, une réponse du travail conceptuel. Et la poétique comme contextualisation.

Faire jouer aussi : l'état des lieux, d'humeur noire en période de guerre d'Irak, de Critical Inquiry.

dimanche 18 novembre 2007

La culture comme politique basse

En lisant Taguieff contre le "néogauchisme", et en essayant de suivre les processus, avancées, tours, de sa dévalorisation du gauchisme comme culturel, ceci : cette pitting du culturel contre le politique, de l’idéologie contre le peuple, est un acte, politique-polémique, qui a l’avantage de rendre simple à penser ceci : il n’y a pas de non-politique. Le culturel et le politique. L’idéologie, le polémique, les mauvaises volontés discursives, les belittlements, les sales coups et faux arguments sont du politique, et du peuple. C’est l’instruction des sophistes, et de Cassin sur les sophistes : il n’y a pas de pseudo.
Il n'y a pas à se hisser au politique, ni au conceptuel. Milieu. Mais le respirer ; le vivre (ce qui n'est pas un passif. Mais un travail).

Qui a peur du relativisme

Le truc c'est que, le relativisme est chaque fois. Son mode pronominal, celui du chaque, et non celui du n'importe quel. Historique et non nihiliste, une métaphysique négative, plongée dans le miroir d'eau de l'absolutisme narcisse. Son opération, toujours, chaquejours, celle de mettre sous le nez, illuminer, un présent, une situation, et des enjeux : à vivre présentement, et à penser en arrachant un peu ou beaucoup ses racines des vieilles terres. Penser comme repenser, seul penser effectif. Oui c'est dur. Et vitalisant ; la vie vitalisant. Parce qu'il faut refaire "le monde" chaque. Quel désir !
Le relativisme, politique du relatif, comme tout le contraire de la perte des valeurs. Perte des repères oui et vie des valeurs. Aucun tragique là. Tout le contraire d'un amour de l'histoire fétichisée. L'histoire comme ce milieu d'air, qui nous respire, difficile à sentir - courant l'air - et faisant le milieu même de notre dedans-dehors ; la socialité de l'individu. Non son héroïsation. Son embrayage. Devenir.

vendredi 16 novembre 2007

Les minorités, et la vie démocratique

Des minorités aussi, il y a plusieurs - plusieurs mondes entiers d'intelligibilité. A faire, l'élucidation de ces plans distincts, le travail de précision de les déconfondre.
Les minorités comme groupes - molaires, identitaires nécessairement - sont un boulet dans le processus de la démocratie, travaillent à contre-ruisseau. C'est comme minoration qu'elles sont actives, et nécessaires au, productrices et multiplicatrices du, travail démocratique. Démocratie, politique, comme dissensus ; le vivre ensemble divisés, étrangers.
Toujours l'urgence pour moi de me remettre à Deleuze et Guattari - comme tenue à la fois d'un anticapitalisme et des propositions sur le peuple qui manque, peuple minorant. (Il mineure le majeur ; il va se minorant. Comme on dit la nature naturant).
Et puis : les minorités, et la minorité. En distinguant, on a déjà un problème.

Peuple, philologie

En lisant, armée de patience, Taguieff sur Les Contre-réactionnaires (février 2007, Denoël), je reprends la ligne du peuple, et de sa relation à la modernité. (Qui est une autre façon de penser la démocratie que par son antiquité ; lignes parallèles mais avec chacune des spécificités utiles.) A la démocratie moderne, issue des révolutions du 17ème anglais, 18ème américain et français. A la partie liée entre démocratie et le "thème", pour parler avec Taguieff, de la modernité, du progressisme, du projet des Lumières, etc. Contre les héritages et la tradition, contre les continuités et les passés (et le savoir ; la culture discursive, qu'a en effet Taguieff, by miles).
Ici, Klemperer : c'est une autre pensée, philologique, du peuple, qu'oppose sa LTI contre le peuple au mode nazi, le Volk. Et non pas un rejet de la notion de peuple. Ni de l'histoire, toujours approfondie, par le travail philologique même.
Une philologie du peuple ; du politique.
C'est aussi une autre pensée, une autre philologie, du peuple comme les peuples et le devenir des peuples - la "vie des peuples" de Saussure - que celle que construit Auerbach, le philologue allemand juif et exilé, co-inventeur (comme référence clé) du plan conceptuel-disciplinaire de la Littérature comparée d'après-guerre, en passant du côté de l'histoire chrétienne, catholique, de l'Europe.

samedi 10 novembre 2007

Capitalisme contemporain : doubler les institutions

Stratégie qu'on peut suivre dans ses fils et ses continuités, sa persistance assurée, du doublage systématique des institutions publiques par la logique du contrat privé - remplacement patient, insinuation pied à pied.
Une maille : la fiche RNCP, nouvel attirail technocratique, comptable, de la réforme du LMD 2, à associer à chaque diplôme, comme une clarine sonnant (et trébuchant) l' "esprit du capitalisme" (Boltanski). RNCP, c'est le Répertoire National des Certifications Professionnelles. Les fiches sont attachées à la maquette du diplôme, et viennent constituer une base de données nationale. Elles quadrillent par 11 catégories, à partir de moyens de quadrillage déjà mis en place dans d'autres lieux acquis à la colonisation capitaliste : la codification ANPE des secteurs (socio-professionnels, j'imagine?). Le référentiel d'emplois, de type d'emploi visé par le diplôme, référentiel "ROM" - whatever that is, et quoi que ce soit, reconnaissable pour sa pragmatique de l'enfumage jargonnologique. Document émanant de la Commission européenne - comme régulièrement ici, l'Europe comme argument prétexte et outil de la capitalisation toujours plus élargie de la culture. (* cf : article du Diplo de novembre sur " la réforme par 'l'Europe' ", qui reprend les premiers termes de l'élaboration de 1958, d'un "marché institutionnel".)

En jeu ici, il me semble comprendre :
. le remplacement de la notion de "catégorie socio-professionnelle" : gestion du travail et des travailleurs par la compétence plutôt que par la carrière (indixée avec la vie sociale, et la notion, l'institution, de la convention collective).
. le remplacement de l'institution du diplôme par la contre-institution, le contrat d'ordre privé, de la "certification". Logique, anti-culture, du brevet et de l'appropriation monopolistique des savoirs. C'était déjà le cas avec "compétences" ; et "l'annexe descriptive au diplôme", invention du LMD 1ère manière - comme s'il ne suffisait pas à lui-même, ayant été élaboré sous la double autorité scientifique des universités, et institutionnelle par les habilitations ministérielles.
. la récupération de la revendication syndicale (insistance Snesup en particulier) d'un référentiel national aux diplômes (ce qui n'est pas une base de données ou un répertoire, mais un processus culturel et politique). Récupérations capitalistes de la critique : voir les développements de Boltanski, et autrement de Cusset, là-dessus.

. un lieu du doublage, majeur : le Ministère de l'Identité nationale, doublant le Ministère de l'Interieur.

Coup d'oeil - fiction contemporaine et terrorisme

Passage et regard comme écoute flottante, chez Smith's. De la fiction qui travaille actuellement - et maintenant j'ai récupéré dans mon champ d'attention l'américaine, cette immense ressource, et les postcoloniales larges, en particulier africaines - une impression piétonne : on travaille le terrorisme, la figure du terroriste. DeLillo, un shortlisté du Booker (The Reluctant Fundamentalist, Mohsin Hamid), et d'autres dont je n'ai pas retenu plus de détail.

Critique et vie

Les possibilités qui se dégagent, puissantes et bien libres, des travaux de ces penseurs critiques sans ressentiment. Leur créativité, créant des points de vue ; les dégageant. Et inventant des modes critiques étonnants.
C'est, le plus souvent pour ceux auxquels je suis sensible, par les approches anthropologiques, plus encore que sociologiques (qui ont leur puissance propre - Durkheim sur le suicide reste un repère) : celles qui savent penser et mettre en oeuvre pour leur criticité les questions de la vie, de la culture, du sujet en socialité ; l'idéologie dans le local ; l'éthique dans le politique. Shrugging off les pesanteurs, critiques dogmatisées, des déterminismes et explications causales massives, généralistes. Luc Boltanski et Eve Chiapello, dans Le Nouvel esprit du capitalisme - soulevant les "néodarwinismes sociaux" et les nostalgies de vecteurs critiques passés de pertinence, et descendant l'attention au ras de la vie politique. Dégageant un milieu de la valeur, dans l'environnement pourtant bien plombé même du capitalisme et de ses critiques, et des théories de l'idéologie. Il s'agit de penser les sujets de l'idéologie, et ses histoires.
Toujours le point sensible : l'histoire, historicisation, son travail minutieux et sans récupérations.

Le scénario de la critique, selon les premières pages du Nouvel esprit : ses acteurs, les instances politiques les syndicats et les intellectuels ; son opération "l'une [de ses] vocations [...], de peser sur les processus économiques de façon à créer les conditions d'une bonne vie pour l'homme".
Gorz aussi se repère à "la bonne vie". Philosophie morale. Philosophie politique prise par une visée éthique - cet effort, vivant-vitalisant. Vie bonne, question posée par Aristote, comme les termes de la question que pose l'éthique.

vendredi 9 novembre 2007

La connaissance, capitalisation du savoir

Je lis André Gorz comme une eau fraîche, par grande lampées antidotes après l'empoisonnement idéologique du Rapport Lévy-Jouyet. L'Immatériel. Connaissance, valeur, et capital (Galilée, 2003). Les élucidations qui font du bien, et illustrent, incarnent, en termes simples la proposition-même de la corporéité du sujet et du savoir pour laquelle le livre travaille.
Chez lui se structurent en opposition valeur (mesurable) et richesse (non monnayable, humaine, et sociale : culture), connaissance (objectale et appropriable : monopolisation) et savoir (indétachable de la vie quotidienne des sujets en leur société et leur devenir social), capital et culture donc.
Le livre est un essai : c'est sa façon d'avancer, de mettre en rapport, d'éclairer mutuellement des problèmes que le travail consiste à adjoindre, qui en fait la force - et par elle qu'il ouvre des relations inattendues, jusqu'à un léger malaise de lecture. Comme je suis confortable dans les analyses des processus du capitalisme, qui en de tournant vers le capitalisme cognitif se trahit comme critique dans ses appels aux "externalités" [soit : à ce qui ne peut pas relever de la valeur, mais appartient à la richesse : les personnes, les vies, la vie, le social, la culture, la nature et les biens humains communs], et nettement moins confortable avec les avancées ensuite vers l'écosophie et l'écologie, vers Sloterdijk (point de repos et de relance en fin du livre) et la "réforme de la pensée", vers Edgar Morin (pensée des systèmes complexes, donc ?, c'est ça ?), vers les analyses des discours des théoriciens et praticiens de l'intelligence artificielle et du cyborg, qui ammène comme régulièrement des contrepoids d'argument que je continue à trouver faibles, sans tranchant, sans opérativité - bonnes intentions, reposant sur des éternels humanistes et des structures philosophiques corps-raison-corps-esprit déjà amorties. Car reste, au bout du compte : "Qui donc mènera la nécessaire 'bataille de l'esprit' ?" (p. 150 - dans le cyberavenir, mais aussi, l'énoncé pose bien la double valence, here and now). Un mode du travail critique n'est pas inventé.
Cet inconfort est le signe que j'ai, justement, à m'y déplacer. Ces territoires inattendus - thématiques mais discursifs plus encore.

Je sais ce qui résiste : la sensation qu'il manque ici une pensée de l'altérité, simplement. Du conflit social, et au niveau inter-subjectif même, dans cet intime de la vie politique. La société pensée comme "coopération", et la subjectivation comme "épanouissement". That would be nice. But then it wouldn't be human life. Faut voir où Gorz le problématise, peut-être. Le rapport social, même dans sa conflictualité, restant une vie humaine, et une tendre machine à valeur.
Qu'est-ce qu'une société non pathogène ? Est la même question que : comment le pathologique, comme figure éventuellement pensable à des conditions historiques partciulières du rapport anthropologique nécessairement autant conflictuel que coproductif - convivial, dit Ivan Illich, apparemment, cité ici comme allié et appui -, est partie de l'histoire anthropologique. ?

mardi 6 novembre 2007

Vie critique

Contre le ressentiment, contre la dette, et la guerre, fatigants, pompants - prendre la mesure, soigneusement, en prenant le temps qu'il faut et la vitesse qu'il faut, des conditions contemporaines, des pressions, des offensives et des épuisements, des mouvements de fond, reflux et émergences. Lire le Rapport sur l'Economie de l'immatériel avec une curiosité détaillée, suivre les fils de toutes ses implications ; (apprendre à élargir le champ de l'attention d'une part, et) prendre les termes du présent et de ses discours, dominants et résistants, dans leurs lignes de tension. Et chercher quelle vie est là, et quelle vie est possible. La disposition sociologique des Cultural studies à son époque de Birmingham et R. Williams, S. Hall. Quelle vie est possible, au prix, et au profit, de quel travail.
Question de mode critique, ou même question de la critique précisément. Qui n'est pas l'opposition. Pas tout à fait la même activité de lutte des classes, lutte sociale, lutte sur le terrain des rapports de travail comme rapports sociaux.
Les réflexes de verrouillage, les indignations, les estomacades, sont des outils, des alertes idéologiques irremplaçables (et de toute façon inévitables), auxquelles il faut faire bien confiance, pour leur intuition du rapport social. Les savoirs idéologiques du corps. Puis : voir aussi les obstacles que forment - justement c'est bien une stratégie de barrage, confrontation, qui fait ses preuves régulièrement - les actions par exemple syndicalistes, avec leurs techniques politiques au pouvoir oppositionnel rôdé, longuement éduqué et nourri d'une culture séculaire. Et simplement le fonctionnement oppositionnel de la démocratie parlementaire. Mais les propriétés, les identités, de ces défenses. Et simplement la faiblesse, pour ce qui est de la vivacité critique, de leur mode critique de la défense - du service public, de la démocratisation, de l'environnement, des droits, des études littéraires, des sciences humaines, de la recherche. La répétitivité des analyses, leurs énoncés d'ordre, leurs accroches qui me font perdre la sensibilité à leurs possibilités de frayage. A ces techniques auxquelles je m'associe par gravitation naturelle mais surtout pour ce que je peux apprendre dans leurs espaces polémiques improvisés (AG, lecture des rapports des journalistes, déclarations et documents ministériels, tribunes et rebonds, rumeur et échanges et travail des couloirs et des circulations de mails), espaces critiques de la crise, des choses traversent, fusent, éventuellement, dans l'ordinaire politique touffu des répétitions. Il faut une patience. Et tomber la timidité d'y travailler selon la trajectoire des vies critiques individuelles, ce lieu même du politique. Pour la vie critique.
Not taking polemic fools gladly. Et sachant qu'il s'agit de conflit.

dimanche 4 novembre 2007

Capitalisme et savoir

Dans le Diplo d'octobre, un article de Gérard Duménil, économiste, et Jacques Bidet, philosophe, tous deux marxiens, "Un autre marxisme pour un autre monde" (24-25). Dans un dossier débat marqué par le titre "La gauche à reconstruire".

Deux ouvertures précieuses :
. le rappel de la conflictualité, comme ingrédient de l'histoire nécessaire à son analyse. Un chapeau au dossier essaie de forcer l'attention de "l'éthique" de la conversation (au sens d'Habermas - angélisme rationaliste du "public" communicationnel) et ses unanimités neutralités bienveillantes sous les traits du débat : "Il est devenu courant en France - presque impératif - de 'débattre' de tout et de rien avec n'importe qui. Généralement médiatisés, de tels badinages [voir, par l'autre versant, les critiques du "bavardage" démocratique, critiques de droite traditionnelles] postulent que la société serait 'apaisée' et que les positions des 'partenaires sociaux' seraient conciliables après dialogue. / Certains persistent néanmoins à associer les idées et les projets à des intérêts irréductibles dont le choc ne saurait être étouffé par quelque 'concertation' que ce soit." Il y a le choc (vocabulaire du néoconservatisme américain, repris et renversé, en actualisation ironique du concept marxiste de lutte, et d'adversaires de classe, et de stratégies d'alliances), et la 'concertation', concert et mélanges qui se déclinents aussi dans la pratique trans-partisanne de 'l'ouverture' ; pratique offensive du nouveau gouvernement. Puis : intérêts, conflit des intérêts, et alliances des intérêts de classe - historiquement, la révolution anglaise a rapproché l'aristocratie foncière de la bourgeoisie, quand la révolution française a articulé la "bourgeoisie révolutionnaire" aux "masses rurales et urbaines".
Le conflit, à penser avec Chantal Mouffe, et sa relecture de Carl Schmidt. Et, peut-être, c'est à voir, avec l'Eloge du conflit, sorti en septembre à La Découverte - blurb de l'éditeur : " Miguel Bensayag et Angélique del Rey : "Dans les sociétés occidentales hyperformatées, l’idée même du conflit n’a plus de place. Les conceptions de la vie commune tendent vers l’intolérance à toute opposition. Le minoritaire doit se soumettre à la majorité et, de plus en plus, contestataires et dissidents semblent relever de l’« anormal ». Dans cet essai iconoclaste et bienvenu, Miguel Benasayag et Angélique del Rey explorent les racines et les effets délétères de cette idéologie. En refoulant les conflits, nos contemporains se laissent envahir par l’idéal de la transparence : toute opacité dans leurs relations devrait être éradiquée, car elle impliquerait l’altérité et, donc, l’ennemi potentiel. Une illusion dangereuse, à laquelle peuvent aussi succomber certains contestataires qui critiquent le système avec ses propres catégories : au lieu de s’affirmer comme des « autres », sujets d’une multiplicité subversive, ils s’en tiennent à revendiquer des droits, confortant l’idée que les « valeurs » de l’idéologie dominante sont nécessairement désirables par tous. Analysant les différentes dimensions du conflit – entre nations, dans la société ou au sein même de l’individu –, les auteurs mettent à jour les ressorts profonds de la dérive conservatrice des sociétés postmodernes. Ils démontent aussi bien les illusions de la « tolérance zéro » que celles de la « paix universelle » : nier les conflits nés de la multiplicité, ceux dont la reconnaissance fait société, c’est mettre en danger la vie. Le refoulement du conflit ne peut conduire qu’à la violence généralisée, et l’enjeu auquel nous sommes tous confrontés est bien celui de l’assomption du conflit, « père de toutes choses » selon Héraclite. "

. proposent de repréciser l'analyse marxienne en 3 et non 2 termes pour l'histoire de la lutte des classes : non pas le capital et le travail, en chiens de faïence, mais modèle triadique avec le tiers des clercs (mon mot) , "adversaire de classe" également - l'article met lui en série (avec des guillemets que souvent je ne sais pas rendre à leur énonciateur, quant à moi) : "organisateurs, gestionnaires privés et publics, experts en tous genres - les "cadres-compétents" ; "l' 'organisation', équilibrage a priori et non plus a posteriori des décisions de production" ; "la 'compétence', qui assure l'organisaiton économique, administrative, culturelle" ; la bureaucratie, l'encadrement économique et culturel, l'encadrement organisationnel ; le "pouvoir managerial" à l'Ouest, avec son parallèle frappant à l'Est sous la forme de la classe dirigeante unique ; gestionnaires ; "les intellectuels et organisateurs" ; "ceux qui ambitionnent une ascension sociale à travers les voies de la compétence" ; élite. J'ajoute d'autres rapports plausibles : la planification (voir Che Guevara cherchant la démocratie communiste, critique des "socialismes réels" de l'Est), le cléricat. L'organisation comme "facteur de classe".
Deux remarques ici :
1. comme "compétence", terme clé et clou discursif répétitivement enfoncé dans les opérations de "réforme" et "modernisation" du gouvernement Sarkozy, est donné à voir par cette analyse comme justement non pas un trope de l'ascension sociale, ou de l'intégration modernisée dans un monde contemporain "de l'entreprise" (voir les doubles génitifs), du "travailler plus", du "gagner" - mais comme outil de domination de la Finance sur les classes du savoir.
2. comme l'intellectuel est effet situé en 1947, definitely. Un concept historique, à garder dans son contexte historique - pour pouvoir penser des situations de 2007. Ici, une sociologie des intellectuels, comme professionnels du savoir (capitalisme et science), et classe en lutte de domination à la fois avec le capital et avec le "travail". Et : la visibilité du déclassement actuel des intellectuels.
Déclassement social du savoir, et dans l'autre main capitalisation de l'humain, de la créativité, de l'imaginaire, de la formation - voir la société de la connaissance, et le Rapport Lévy-Jouyet.

Autres vues offertes ici, et conséquences du décalage de point de vue, complexification du scénario de la lutte :
. le capitalisme d'entre 1945 et 1979 s'était définanciarisé, passant de l'Etat-nation à l'Etat social, et dans le "compromis social-démocrate" (industries nationales, services publics, sécurité sociale, politiques d'emploi et de développement - comme quoi le service public est une notion profondément historique elle-même) - en poursuivant par contre confortablement en parallèle son entreprise coloniale et ses destructions écologiques. 1979 : crise économique de 70s, et rupture de l'équilibre associant, pour former ce qu'on veut appeler "Gauche" (mais qui est aussi à situer, historiciser, et laisser penser à neuf, laisser déplacer jusqu'à pouvoir penser une situation politique présente), soit les gestionnaires au pouvoir avec les "classes fondamentales populaires" [what an appellation...]. Economie mixte, capitalisme socialisme. Compromis entre la "classe ouvrière" et "le pôle de l'encadrement économique et culturel". Le pouvoir de tous tendant "à s'identifier au pouvoir des organisateurs". => de quoi historiciser aussi le "public", dans son contexte. Pour dégager la possibilité de penser d'actualité du peuple, la modernité du public.
. vie politique des années 1960-1970 : l'alliance peuple ouvrier - cadres experts est décisive poru les combats du tiers-monde, pour les poussées révolutionnaires latino-américaines, les mouvements ouvriers et étudiants, 1968 "ébranlant les vieux contextes culturels sur lesquels les forces de la droite traditionnelle appuyaient leur pouvoir de classe." Puis 1979 : crise structurelle, inflation, taux d'intérêts grimpent, crise du tiers-monde endetté, et "une nouvelle discipline était imposée aux travailleurs et gestionnaires". Nouvelle division internationale du travail, sous hégémonie US, qui relance l'exploitation coloniale. Du compromis social-démocrate au compromis néolibéral : gestionnaires et finance. (soit : nouveau statut de l'élite, alors, et décrochage avec "le peuple de gauche" donc.) Le monde ouvrier perd sa centralité, stratégique. Maintenant : éparpillement, et le modèle des partis ne fonctionnera plus. La droite propriétaire fascine les travailleurs indépendants et les couches les plus fragiles du salariat. La gauche des clercs aspire les salariés du public et de la méritocratie.
. l'individu et l'histoire politique : il ne s'agit pas de trahison individuelle, dans les ralliements du moment. Depuis la "gauche caviar" mitterandiste jusqu'à l' "ouverture" 2007. Et l'explosion du Parti socialiste français. On espère.
. reste, à la situation actuelle : le parti invalidé, les coups nouveaux du capitalisme et la propension de l'élite à détourner à son profit l'élan des luttes populaires. L'Etat-monde (américain) en gestation, qui ne fonctionne plus, comme l'ancienne structure de classe à l'oeuvre dans le contexte de l'Etat-nation, oppose maintenant centre et périphérie : US, "centre mondial systémique, impérialiste, s'emploient à s'imposer comme l'acteur dominant de cette "étaticité" de classe globale en voie de formation. Pôle de concentration des capitaux. Les auteurs mettent leurs oeufs dans le panier des mouvements, pour prendre la relève du parti comme outil de lutte de classes. "Luttes et résistances, luttes de classes, de races et de genres" - that's a novel touch, pour la France. Mal intégré, comme un deus ex machina, où est lisible un état-monde culturel américanisé (American Theory). "C'est la forme du mouvement qui prévaut. A la recherche de ses bases sociales, de sa "mondialité", de son idéologie aussi, un autre marxisme pour un autre monde reste encore à inventer". That's for sure.

La qualité d'historicisation contenue dans ces simples propositions est suffisante pour replacer celles de Negri dans la valeur trouble du fluidisme, du dynamisme, dans la perspective du séminaire du CIPh cet automne, "Qu'est-ce que penser à gauche aujourd'hui". Et réfléchir avec cet incident politique qui donne beaucoup à penser - une femme prend la parole affichée pointedly, un peu pédagogiquement, comme ouverte, dérive sur une ligne de délire doux, et est ignorée par la tribune, Negri shuffling papers, un murmure amusé distrayant la salle comble, et la parole ayant été prise, tombe puis passe, dans le vide. Ce n'a donc pas été pensé. Une pensée politique est à l'épreuve dans cet ordinaire social. L'épreuve est éloquemment ratée ce jour-là. La multitude, parce qu'elle ne fait pas une pensée du politique, n'est certainement pas de gauche. La dépolitisation penchant naturellement vers la droite.

mercredi 31 octobre 2007

La valeur création

Lecture du Rapport Lévy-Jouyet, soit : L'Economie de l'immatériel. La croissance de demain. Rendu au Ministère de l'économie, des finances et de l'industrie en novembre 2006. On s'étouffe presque de choses à en dire, fieffé. On y est, tellement ; au coeur de la machine discursive et politique du néocapitalisme. ça commence avec les auteurs à qui le Ministère a fait appel : Jean-Pierre Jouyet est chef du service de l'Inspection générale des finances à l'époque - et il s'agit bien du rapport de l'Etat aux conditions de production d'époque, puisque la base est la question de la fiscalité. Base esquivée, d'ailleurs, le regard déplorant par divers biais la difficulté de trouver une assiette fiscale à cette valeur dématérialisée délocalisée et se tournant délibérément sur chaque considération vers "le monde de l'entreprise". Ces "de" aux grammaires doubles : le monde que nous fait le néocapitalisme ; la culture ("d'entreprise") que nous fait le modèle politique de l'entreprise. Maurice Lévy est Président du Groupe Publicis (note : agence de publicité française, fondée en 1926, 4,13 milliards d'euros de revenus en 2005, 4,39 en 2006 ; inclut Saatchi & Saatchi ; M. Lévy au Directoire depuis 1987, et Kevin Roberts depuis 2000).
Aussi : apprécier encore l'outil perçant que donne Internet, en mettant à disposition ces types de textes, textes officiels et rapports, dans une circulation publique neuve. Nouvelles conditions du débat public, certainement.

Mais quelques pointes :

. la création, question clé. Donné comme exemple, dans le contexte britannique et la publicité, comble et pointe des nouvelles formes immatérielles de la production de valeur (encadré p. 54). Dans le cadre britannique, une full Creative economy, creative industry. L' "imaginaire" devient un "secteur", son existence explicite et valorisable dans le circuit économique donc ; "création et créativité" de nouveaux objets ou moyens dont il peut s'emparer ; "créatifs" un nouveau concept socio-professionnel, nouveau sujet du travail : "Si chacun est doué, certes à des degrés différents, de 'créativité', seule la publicité fait travailler des 'créatifs', profession identifiée à partir d'un adjectif substantivé universel." Amazing sensibilité linguistique dans un contexte de langue assez boisée. Où les savoirs langagiers et culturels tournent rapidement court dans le ton d'émerveillement avec lequel les rédacteurs poursuivent : "ce processus [brainstorming collectif, "partage d'un 'langage' commun, ou plutôt d'une culture et de valeurs 'communes' [les guillemets sont savoureux ici] (cette approche a été théorisée par Kevin Roberts, CEO de Saatchi & Saatchi)"], qui demeure 'mystérieux' pour les praticiens eux-mêmes, vient d'un équilibre toujours réinventé entre la logique et le magique, entre la science et l'art. De fait, la plupart des agences répliquent à chaque niveau de leur organisation comme pour chacun de leurs projets des binômes associant 'créatifs' et 'planners'. Il est important pour arriver à des campagnes efficaces que ces deux métiers soient clairement dissociés." Plus loin : "L'objet publicitaire peut ainsi devenir oeuvre d'art [l'absence d'un article fait juste une petite faille, juste] ; l'idée créative repose sur des professionnels qui sont de véritables créateurs. D'ailleurs nombre d'entre eux ne travaillent pas seulement pour la publicité mais également pour la photographie d'art, les films d'animation, mais aussi des longs métrages : ont ainsi par exemple commencé par la publicité avant de changer d'art [!], Etienne Chatilliez, Ridley Scott, Spike Lee ou Satyajit Ray." On peut ajouter Rushdie.
J'avais repéré un nombre de publications récentes dans les sections business de Barnes & Nobles l'an dernier, avec comme clé bibliographique et conceptuelle creative. Il faudrait que je retrouve cette trace. Comme nouvelle pousse de la nouvelle économie. Il me semble que c'était regardé du point de vue des individus : un nouveau type de travailleurs, nouveau type social, fait justement exploser les "catégories socio-professionnelles", car prenant en traverse des publicitaires, des artistes, des chefs, etc.
A noter également, une équipe CNRS (ou autre* - dont j'ai entendu parler dans le contexte du CNRS) qui s'identifie par l'objet, transdisciplinaire, "Création". "Création" permet des transfuges, des passages, avec leur créativité et leurs troubles. Justement. Ce point, crête.
* après vérification, c'était plus dominant que ça : l'une des 4 lignes de la programmation ANR 2008, "Création : acteurs, objets, contextes" (aux côtés de "Gouverner - administrer", "Les formes et mutations de la communication : processus, compétences, usages", et "formes de vulnérabilité et réponses des sociétés").

. évaluation et valorisation. Mots clés. Il s'agit d'une machine de la valeur : la proposition, l'imposition, d'un système de la valeur et de ses moyens - et de ses effets sur la chose publique. Le brevet, comme type.

. l'entreprise et l'institution. L'Etat est mis en jeu, mis en question, dans le rapport. Par la question de la fiscalité, celle de la réglementation, celle de la propriété intellectuelle, la politique de la recherche et de l'enseignement. Par, aussi, le patrimoine immatériel. Biens publics - sur lesquels on louche de manière décidément sinistre.
Mais aussi, une remarque : pourquoi l'entreprise semble-t-elle rester une institution, dans cette dématérialisation, déterritorialisation tous azimuts? La famille, la "Nation" (p. 45), la fonction publique, la catégorie socio-professionnelle et le métier, le travail, l'usine, le lieu de travail, le temps de travail : se disloquent et fluent. L' "entreprise" semble tenir, dans ces discours. A voir.

mardi 30 octobre 2007

Savoir et société

Il s'agit de la production des savoirs publics.
La question se présente comme ça, en ce moment.

Actualité des disciplines

A noter, comme note d'ambiance, et à-suivre : la reterritorialisation, tout naturellement, des disciplines dans cette nouvelle époque de LMD 2. Comme quoi l'interdisciplinarité réclamée précédemment était moins (s'en étonne-t-on ?) un objectif scientifique qu'un outil de désorganisation, fragmentation, "mobilisation" des équipes de formation. Ayant pour effet maintenant facilement repérable les déracinements des pratiques et des individus, désinstitutionnalisation. Puis seconde "vague", tout naturellement, le retour des antiques réflexes - lisibles dans la Lettre aux éducateurs (Sarzkozy, sept. 2007), dans les fatigues à l'innovation ressenties sur le terrain des universités, dans les "normalisations" toujours plus larges à Paris 8 ("propédeutique", etc. Des mots tombent dans les énoncés comme des galets, plonk, plonk, opération bien repérée chaque fois).
Plus elles sont vieilles, moins elles sont des disciplines.
Cet étrange mixte de conservatisme et de révolution droitière. Le moralisme de l'innovation. Cette logique.

Traduction

Très simple, bien entendu : non pas - il faut toujours l'enlever du chemin, on peut en devenir impatient, une mouche qui revient au galop - traduttore traditore, mais traduction tradition.
C'est l'un des moteurs de la philologie, une science du langage en culture, qui a une histoire épaisse.

Dans : l'histoire

Très simple, bien entendu : pour être au plus près, quand il s'agit de désigner l'horizon des rapports, parler non pas : de monde (philosophiant, avec un angle phénoménologisant), de réalité (sociologisant), ou même de société et de sujets, mais d'histoire. Situation. Présent. Contexte.
On parler aussi de vie - il faut alors mettre un grand poids dans les mots, y impulser un mouvement sans équivoque par un contexte d'énonciation, au risque des ambiguïtés, conceptuelles et donc idéologiques. On peut s'en fatiguer.
Or, il y a à filer.

dimanche 28 octobre 2007

Techniques de mobilisation

Lisant C. Salmon sur le storytelling, je rentre dans le jeu des passages de citation : Salmon cite S. Tchakhotine (Le Viol des foules par la propagande politique, 1952) qui cite Chesterton : "le progrès consiste à être poussé en avant par la police."
Dans les plans conceptuels de l'historicité, il y a la branche de la modernité, puis celle de la "modernisation". Le contraste des puissances est impressionnant. Mais certainement, la culture de l'urgence, la pression du flux tendu, la stratégie de la réforme à répétition, le bougisme, le moralisme du dynamisme et l'idéologie de la croissance compétitive, le short term, nous font un régime du temps qui est infiniment "utile" - technique de mobilisation. Soit, de démobilisation politique.

vendredi 5 octobre 2007

Politique de la personnalisation

Note de journal : parce qu'il n'y a pas de personnel :

Pour continuer à comprendre « je ne suis pas seule » : (j’écrivais dans un journal personnel un peu plus tôt dans cette période de rentrée, où s'agite et nous agite toute la question de la vie universitaire, et intellectuelle : « Non seulement je ne suis pas seule, mais aussi : ma vie est politique [soit : reprise du frayage féministe des années 70 : the personal is political]. Les pressions que je vis, les coordonnées de mon personnel, sont politiques – ne pas penser qu’on est dehors, ni exclus ni au-dessus. C’est un des facteurs de « je me trompe » [soit : l'épuisement au travail est à prendre comme le symptôme d'une erreur sur la nature du travail, intellectuel]. C’est aussi pourquoi je partage la responsabilité de l’action, de la résistance, des « résultats », avec le social, le professionnel, etc. » ) – c’est que la responsabilité n’est pas personnelle. La personnalisation est l'effet de la politique de la droite durcie actuelle, et une branche de sa grande stratégie très cohérente d’individualisation ; qui marche avec la people-isation (c'est ce qui en fait l'actualité, ce qui lui donne son petit goût spécifique, où il y a à réfléchir aux moyens nouveaux nécessaires pour une analyse et une réponse) – écho du très reconnaissable « get on your bike » de Norman Tebbitt, à la révolution thatcherienne. Un sujet droitier, et libéral : celui pour qui on sacrifie le souci du social : "there is no such thing as society". La société rattrape toujours ses dénégateurs, naturellement, mais ce n’est pas sans déchirements.

A Paris 8, dans le quotidien d’une vie à gauche ; la responsabilité n’est pas personnelle. Il y a une agence individuelle, ou précisément pour ne pas confondre, on pourra la dire subjective, ou de singularité peut-être, en termes de la philosophie des multitudes. Celle de la créativité, qui invente aussi des sujets à géométrie variée, blocs subjectifs et agencements énonciatifs. C’est l’agence active, politique. Il s’agit de continuer d'apprendre à en connaître la puissance sociale, socialisante et subjectivante.

jeudi 4 octobre 2007

Livres et idées

D'un coup, "livres", "idées", "livres et idées", comme syntagme. D'où ça vient ? ça me paraît marqué, et tactique. Je ne sais pas le lire ; je tâtonne des devinettes. Faut aller voir les pans de discours. La Revue des livres donc, et maintenant Nonfiction, "portail des livres et des idées".
Des choses évoluent, étonnantes, pas forcément celles qu'on avait prévue, attendues.

lundi 1 octobre 2007

Evaluation - domination de la valeur

Il en vient de tous les côtés ; campagne massive et articulée ; et aussi simplement idéologie présente partout reconnaissable et partout pratiquée. Entrée dans la chair des instances et des procédures de leur fonctionnement.

Je reçois ce matin un appel à réunion, à mobilisation, encore une fois, "urgente", adressé aux Ecoles doctorales et directeurs de recherche de Paris 8, dans le cadre d'une "Etude sur l'identité professionnelle du doctorant". L'étude doit porter sur 4 sites ; en quoi P8 lui sera un point d'observation utile tactique ? Tout un faisceau de mots-valeur et de pressions, canalisations, mots d'ordre :
  • des instances, dont je n'ai jamais entendu parler, je les pense nouvellement (et opportunément) créées : le Haut-Comité (qu'est-ce que c'est que ce statut, dans le MEN ?) Education Economie Emploi, petit nom HCEEE. Manifestement un produit institutionnel issu des crises du CPE, et de l'espace de "débat" ensuite ouvert, comme grand masque sur les problèmes, par J. Chirac, Université-Emploi. Quelle est la mission de cette instance ? Ses pouvoirs ? Sa fonction politique ?
  • la Direction de l'Evaluation, de la Prospective et de la Performance (soit DEPP), émanant du Ministère chargé de l'enseignement supérieur et de la recherche. Comment ce corps se positionne-t-il par rapport à l'AERES ? Quels doublons et réimpositions - qui densifient encore le tissu opacifiant du fonctionnement de la valeur pour la politique actuelle du savoir ?
  • ils s'associent, pour lancer cette étude - prolifération, superpositions, stratégie de l'usine à gaz et de la langue de bois, technocratie très particulière. Que fait-on des instances qui étaient en place, dans le précédent état du système de la valeur ?
  • l'étude : quelle est la différence entre une étude et la commission d'un rapport ? Etude, conseil, expertise : formes contemporaines du savoir et de la politique du savoir.
  • le cabinet Technopolis France est mandaté pour effectuer l'étude ; sollicite à son tour les "sites". Cabinets d'expertise, qui se substituent graduellement, pan après pan des activités sociales et publiques, à la fonction publique. Site à voir pour ouvrir cette fenêtre sur le management de la valeur.
  • objectif : "apréhender la manière dont se construit l'identité professionnelle du doctorant et identifier les motivations et obstacles à l'orientation du doctorant et du jeune docteur vers une activité professionnelle autre qu'académique" (je ne sais pas qui parle ; l'appel est présenté par le secrétariat de l'ED). D'abord le doctorant : un profil, un produit ? Qu'est-ce qu'il y a exactement dans ce singulier qui fait dresser l'oreille. Pour commencer, un écho des processus d'individualisation qui accompagnent toutes les stratégies de l'évaluation dans le paradigme postindustriel du savoir ; puis une sorte de ton de la technocratie, qui manages to individualiser en dépersonnalisant. Puis : l'identité professionnelle : les échos sont à la fois vers identité nationale (il y a une politique de l'identité en France actuellement) et vers insertion professionnelle (puisqu'on a aussi "orientation"), et les tisse ensemble comme pan d'idéologie. Une idéologie aussi est une "théorie d'ensemble". Ces bribes, qui fonctionnent sur des plans qui semblent indépendants et pourtant retissent leur cohérence - un fonctionnement réminiscent de la LTI donnée à entendre par Klemperer.
  • on pousse donc vers une activité pro "autre qu'académique". Ce n'est pas, justement, présenté comme une réponse à une situation préoccupante des jeunes docteurs au chômage.

Texte d'accueil de Technopolis :

" Welcome to the Technopolis web site.

Technopolis provides high quality, practical, knowledge-based research, advice and management support services to policy makers and those responsible for putting policy into practice.

We focus on science, technology and innovation and policies for economic and social development. We support the entire policy development and implementation cycle from concepts through policy development and programme design, management and evaluation as well as the development of governance and institutions. The common thread in our activities is that we work with the creation of knowledge and its practical application in society. The Technopolis group is a European organisation with a staff of over 55, based in Amsterdam, Ankara, Brighton, Brussels, Paris, Stockholm, Tallinn and Vienna, often working in multi-country and multidisciplinary teams. We have working experience of some 35 countries. As a result, we bring an international perspective to our projects at the regional, national and international level.

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of what we do. Some of our reports and articles may be obtained from the 'Downloads' section. If you would like to access others or have any comments, uggestions or requests, please contact us at info@technopolis-group.com ©
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Texte d'accueil de la branche française :

" L’équipe de Technopolis France est basée à Paris. Nous bénéficions d’une expertise approfondie en matière d’évaluation sur les questions de science et de technologie, ce qui comprend notamment l’évaluation des programmes publics et le management des institutions scientifiques. Nous avons évalué avec succès plusieurs programmes majeurs, donnant lieu à de réelles améliorations. Par exemple, en 2001, les résultats de notre évaluation étendue des programmes de l’ANVAR, qui soutient le développement de produits et de procédés innovants dans les petites et moyennes entreprises, ont été largement repris par l’Assemblée Nationale au cours de son examen du programme national. De même, notre évaluation du PREDIT (Programme national de recherche et d'innovation dans les transports terrestres) a permis d’identifier les technologies clés pour soutenir les projets de long terme de ce programme, qui représente une dépense de plus de 10 millions d’euros par an.

En 2002-2003 nous avons réalisé plusieurs autres évaluations importantes en France : l’évaluation du RNRT (Réseau national de recherche en Télécommunications, pour le Ministère de l’Industrie: un résumé et le rapport complet peuvent être téléchargés sur le site du RNRT), celle des «PAI Europe», le programme d’actions de mobilité bilatérale entre la France et les autres pays Européens (pour le Ministère des Affaires Etrangères), et celle de la politique de contractualisation entre l’Etat et les universités (pour le le compte du Comité National d’Evaluation - cliquez ici pour obtenir un résumé de l’étude et acheter le rapport final). Nous sommes également très impliqués dans l’exercice national de prospective du système d’innovation «FutuRIS», pour lequel nous avons réalisé une série d’études et occupons une place de rapporteur et de conseiller méthodologique. A la demande du RNRT, Technopolis France a en outre mené une étude sur les roadmaps dans le secteur des télécoms, qu’il est possible de télécharger ici. Nous avons récemment assisté Angers Technopole dans le montage de son observatoire des laboratoires au niveau régional. Cliquez ici pour plus de détails.

Du fait de l’expérience pratique de notre équipe, nous avons souvent été sollicités pour développer des programmes de formation. L’exemple le plus éminent est une série de cours sur l’évaluation de programme assurée régulièrement pour la Commission Européenne. Jusqu’à aujourd’hui, plus de 150 membres de la Commission y ont participé. Nos autres activités fondées sur la formation comprennent notamment le développement d’outils managériaux pour des projets de R&D de long terme et des outils de mise en réseau pour des équipes de recherche multi-partenariales. "

dimanche 30 septembre 2007

RILI : Revue internationale des livres et des idées

Premier numéro de la RILI, donc, pour septembre-octobre 2007. Site : RILI
Un travail de positionnement, soigneux, est lisible :

. "livres" - le concept a une drôle de couleur en français. C'est qu'il est en traduction, de la NYRB, de la LRB, de Bookforum, du TLS (explicitement, affichément).
. "idées" - le terme résonne aussi. Est-ce que c'est mon oreille métèque ?
. l'international est très principalement dirigé vers l'anglophone : Etats-Unis et Royaume Uni. Ce n'est pas forcément assez, mais c'est pertinent.
. parmi les partenaires marqués dans l'éditorial, mais aussi dans les encarts publicitaires : une galaxie : travail de revue : Politis, Vacarme, Multitudes, Radical Philosophy, la New Left Review, le TLS, Courrier international (pas le Diplo ?) Travail d'édition : Amsterdam, Les Prairies ordinaires, Le Point du jour, Verso. Citton et Neyrat, auteurs écrivant ou cité, sont membres de l'équipe de Multitudes.
. autres marqueurs : Yves Citton (qui annonce la publication à la mi-octobre d'un Lire, Interpréter, Actualiser. Pour quoi les études littéraires ?, chez Amsterdam) ; un entretien avec Stuart Hall ("Pouvoir et culture") ; un papier de Thierry Labica sur Jameson, et un second de M. Potte-Bonneville ; un papier sur Michael Scott Christofferson's The French Intellectual Against the Left. The Antitotalitarian Moment of the 1970s ; Jérôme Vidal (directeur de publication de la RILI) sur les intellectuels et le PS ; Perry Anderson sur la London Review of Books, "portrait".
. éléments du projet et de la position éditoriales : "maintenir dans l'espace public l'exigence de penser et l'agir", avec d'autres rythmes et une autre visibilité que ceux imposés par "la lecture-zapping des grands médias" - et "l'espace toujours plus réduit et intermittent" que ceux-ci accordent. Se place "aux côtés des lecteurs, des auteurs, des éditeurs, des revues et des libraires" qui... Sur un modèle explicitement NYRB-LRB etc. donc.
. autres éléments, pour leurs formulations : débat (= mettre "en évidence la dimension politique des savoirs et des idées", mise au jour des positions intellectuelles et politiques existantes ou émergentes"), critique (consacré aux travaux critiques : soit, "qui viennent troubler les savoirs établis et mettre en question les imaginaires sociaux et politiques"), actualité ("intervenant dans le débat public", et "portant sur l'actualité un regard décalé et contribuant à la redéfinir"), transnational (recensions de livres non traduits, contributeurs étrangers, attention particulière aux traductions), ouverture sur la scène littéraire et intellectuelle -
. note : littéraire, ici? Le centre de gravité semble plutôt la théorie, les disciplines, les "savoirs et les idées". L'intellectuel et le politique. Peut-être tirant vers "theory", dans l'éloignement justement de la question du littéraire ?

. trace, aussi, d'une ligne de front que je n'avais pas repérée : la New Left Review contre Foucault et contre Nietzsche - la ligne marxienne, donc, par contraste ? Un encart annonce : "NLR. Contre-pensées contemporaines - poilitiques, culturelles, économiques. Ce que vous n'y trouverez pas : Révérences à Michel Foucault, Regrets pour Kyoto, Petits conseils au State Department, Eloges du box-office, Euphémismes à propos de l'ONU. Ce que vous y trouverez : Pouvoirs ("Etats-Unis, Europe, Chine, Moyen Orient, Japon" - intéressant, Europe, de la part d'une voix britannique), Marchés, Arts ("avant-gardes, franc-tireurs, cinéma du Sud") , Idées (déclinées en : "anti-Nietzsche, postmodernité, utopies, multitudes"), Mouvements ("contre la guerre, Sem Terra, paysans Chinois").

. enfin, à noter : l'ouverture d'une collection Penser/Croiser, dirigée par François Cusset, aux éditions des Prairies ordinaires. Premiers numéros, entre autres : traductions de La Totalité comme complot (F. Jameson), et de Quand lire c'est faire. L'autorité des communautés interprétatives (S. Fish, traduit par Etienne Dobenesque). C'est du travail important ; il faut le connaître et le suivre. Le tropisme actuel de la traduction, à son plus culturellement créatif.

samedi 29 septembre 2007

La traduction de B. Cassin

Just this : "A présent, traduire engage." L'Effet sophistique, p. 345.
Un sujet par la traduction (un mode de subjectivité, trans-subjectivation, précisément) ; un politique dans la traduction ; et le temps philologique quand la philologie est la logologie telle que le logos repensé dans l'effet sophistique : actualisation (Aristote et Arendt, qui passionnent aujourd'hui), "création continuée" du "consensus sophistique".

Histoire de la culture

La culture change, mais surtout : la culture change.
Dans les années 60-70 avec Bourdieu, on a parlé sociologiquement de la culture, comme marqueur de distinction et distributeur des classes sociales. Culture dominante, et donc - pour les cultural studies du Centre de Birmingham par exemple - la culture populaire. Insister sur l'existence active et fructueuse de whole ways of life, en travaillant à distinguer théoriquement la pensée de la culture du seul modèle, dominant-oblitérant, de la high culture. Théoriser la culture comme le processus de vie d'une société, ici et maintenant - y compris en refaisant à ce point de vue toute une histoire du rapport Culture and society dans la culture anglaise.

Sur un autre plan, traversier, dès l'après-guerre, parlé de culture de masse : l'Ecole de Frankfort exilée aux Etats-Unis : choc des cultures, pour le moins -- et déracinement des repères pour une définition de la culture comme fabrique de société. La question de l'art y joue un rôle critique, un peu douloureux. Indice de catastrophe.

La "culture" a encore changé, est de nouveau méconnaissable, parce que les plans sociaux où le concept fonctionnait ont basculé, se sont recomposés, nouveaux clivages, nouveaux champs de tension et de vie, nouveaux champs de la valeur - géométrie variée. La "culture populaire" n'est plus, par exemple, en France, aux Etats-Unis, au Royaume-Uni singulièrement puisque c'est de là que la notion-nation émanait le plus nettement [il faudrait voir dans l'histoire allemande - certainement beaucoup de matière là ; une histoire spécifique intensément éclairante pour le général], la culture populaire n'est plus donc une catégorie qui a la pertinence analytique forte qu'elle avait dans les décennies -- les décennies quoi ? Il faut sans doute dire : d'après-guerre et jusqu'aux années Thatcher, soit les décennies des socialismes démocratiques, des welfare states, des syndicats et de la validité politique du marxisme, des intellectuels ("de gauche") ? Certainement ça vire dans les années 80, avec Thatcher Reagan et le tournant libéral du socialisme français.

Mutations de la culture, mutations de la notion même de culture. Paramètres actuels : d'abord les cultures, et le multiculturalism (le postcolonial, relayé par la mondialisation - les deux comme effets de la fin du modèle Guerre froide de la géopolitique : non-alignement, et idéologie). Puis "exception culturelle" : la culture et la valeur commerciale-et-transnationale (le néo-libéralisme est une géopolitique ; la culture est nécessairement bousculée par le drainage soudain de la validité sociale du national, paradigme de la culture pour les sociétés européo-américaines depuis le 19ème). Puis la cyberculture, liée au produit culturel communication* (mais distincte de lui, et à garder telle pour continuer à sentir l'enjeu d'un départ entre forme ou dispositif, et système de la valeur : ce n'est pas le cyber- qui est destructeur de social, mais une idéologie qui s'est accolée à ce medium. Il est aussi puissant de créativité). Puis ... il y a d'autres formes et pratiques actuelles, qu'il faut continuer à rassembler et auxquelles je ne pense pas dans l'immédiat.

C'est dans cette perception des mutations de la culture qu'il faut lire et évaluer le trope, le thème, le cheval de bataille actuel, de la culture générale. Par exemple lisible dans la Lettre aux éducateurs de la première rentrée de Sarkozy, et balisée avec confiance par Le Débat. La culture générale en particulier mise en regard des "cultures lycéennes" (Dominique Pasquier, rapportant certaines analyses aux échos tocquevilliens de son Cultures lycéennes. La tyrannie de la majorité, Autrement, 2005, dans le Débat de mai-août 2007), le "décrochage culturel" (Pasquier), les "jeunes" qui mettent à mal la culture comme linchpin de la république - par la diversité communautariste, par consumérisme de masse et addiction à la communication.

Quel état de la société, des sociétés, ça donne à voir, à analyser, diagnostiquer éventuellement ; et quelle prise critique sur une idéologie par la culture, par un discours sur la culture, ça procure à une poétique qui tient le plan de l'histoire des concepts.

* je laisse ça à déplier pour une autre fois. Juste un jalon ici.

vendredi 28 septembre 2007

Communication et traduction

J'essaie de reprendre le fil, trop laissé à refroidir, de la discussion ouverte, disposée, par Brossat et Déotte, d'abord en université d'été puis en séminaire à la Maison de l'Europe à Paris début septembre 2007, sur "Traduire entre les cultures : affronter le différend".
Beaucoup apprécié l'initiative, et ses réalisations : l'ouverture d'un tel champ de travail, sur des voix nombreuses et soigneusement internationales (Europe et Extrême-Orient comme orientation centrale), dans les formes d'un réseau (Darmstadt, Porto, Haïti, Taïwan, Chine), puis d'une université d'été, et avec un nouvel ancrage à la Maison de l'Europe, lieu public lieu ouvert (selon la politique de sa présidente Catherine Lalumière), et lieu des travaux du programme Culture et politique / Transeuropéennes / séminaire au Collège international de philo (Ghislaine Glasson-Deschaumes, Rada Ivekovic).
Le projet est annoncé par la formule de Brossat : une machine de guerre, contre-courant à une idéologie massive de la communication et du consensus ; un "discours d'époque" et "discours dominant" promouvant/se donnant comme un "dialogue entre les cultures" qui chante la tolérance, l'ouverture, l'universalisme, l'homme, l'entente, compréhension, le tout-circulation et l'interculturel bien-(mal)-pensant - en faisant fonds d'une pensée autoritaire du rapport entre culture et politique. Contre le "dialogue", le différend (Lyotard / avec un écho à la Mésentente, Rancière) - l'analyse établit une autre distinction qui sous-tend cette première : contre le consensus, une pensée du politique-langage comme dissensus.
Eléments du dispositif :
. un point de départ dans la question de la guerre civile. Stasis et polemos.
. Transeuropéennes critique des discours identitaires : répondre au discours dominant qui organise le champ politico-cutlurel en termes de dialogue des cultures mais du coup aussi choc des civilisations. "Traduire entre les cultures" semble être un énoncé émanant de cette voix (un n° de Transeuropéennes, portant comme titre déjà "Traduire entre les cultures", était paru en 2002), le dissensus venant des philosophes. Première note, pour moi. Deux points de parole, que distingue une perspective : philosophique (états du politique), et culturelle (états du langage). Pour Transeuropéennes : la traduction comme méthodologie pour une réflexion sur les cultures.
. une cible précisée : l'éthique communicationnelle d'Habermas, prise en mire par Le Différend (1982).
. Déotte présente le concept comme gagnant une pertinence de plus dans "notre situation postcoloniale".
. Déotte engage aussi "artistes et penseurs", "en première ligne" - je n'ai pas saisi, dans la vitesse, en quels termes ça se fait pour lui. De même, Brossat évoque le Rushdie de l'époque de la fatwa, en contraste avec l'affaire des caricatures de Mahomet - en tant qu'elles ont, marque d'un temps plus récent, instantanément fait passer du local au mondial. Cette fenêtre sur l'art et la culture.

Questions et relances :
. la traduction culturelle - et sa généalogie et ses interlocutions avec la cultural translation. Qui ne désigne pas - car "à présent la traduction engage", écrit B. Cassin (L'Effet sophistique, p. 345) la même chose ni le même plan de problèmes. Il faut faire entendre ces voix, dans leur dialogue - oops, leurs rapports critiques -, distinctement.
. l'entrée de la question postcoloniale dans le champ de la philosophie française - et plus largement, mais c'est certainement autrement chaque fois, dans les sciences humaines. Voir également ce qui se passe dans la traduction engagée de postcolonial, et ses traditions conceptuelles discursives et politiques maintenant longues de plusieurs générations théoriques, en "postcolonial".
. au différend, à la mésentente, et leurs effets de relance par la question de la traduction telle qu'engagée ici, on peut aussi faire parler l'homonymie - telle que conceptualisée par B. Cassin à partir d'Aristote (limite du philosophique et de la sophistique) : une proposition quant au rapport du politique au langage, et une proposition qui fait bouger les piliers philosophiques des cultures européennes. Met la philosophie à la question, du langage. Par l'usage de la traduction, machine de guerre philologique-logologique, et intimiment liée à la question du texte, de l'oeuvre, de l'art, de la littérature. Le rapport philosophie - philologie est mis en tension sur le champ même du politique. Une mise en tension du politique.

Mais ma question focale : touche à la fonction du langage, tel que convoqué dans le champ critique ouvert ici. La traduction contre la communication : my heart leaps. Mais il semble manquer quelque chose à la structure de l'argument ; une question s'éloigne, en emportant avec elle le concept bandé pour l'assaut ou la résistance mêmes. S'il s'agit de prendre à revers, par une analyse rebroussante, la communication comme bloc idéologique et idéal d'une certaine articulation entre une certaine discursivité et une certaine socialité, il faut que les propositions répondent sur l'articulation : il faut que l'attention se porte bien sur la traduction comme pratique du différend : pas seulement un contre de l'irénisme-autoritarisme consensuel (question de philosophie politique), mais bien sur une pensée du langage dans lequel il est tressé. Un modèle alternatif du rapport langage-société. La question est alors : quelle repensée du langage est en travail dans le concept de traduction ici ? Et quelle repensée de la philosophie, par là-même ?
Soit : en quoi cette machine de guerre est-elle philosophique, spécifiquement, et non seulement, disons, "politique" ? Qu'est-ce exactement que le concept philosophique de traduction ici ? Comment fait-il, philosophiquement, une pensée du langage qui réponde à la nécessité politique observée de penser le différend ?
Que fait la philosophie, ici, en tant que telle, comme intervention dans le politique - soit, dans les termes culturalistes de la vie (géo-)politique contemporaine ? (Brossat dit, ici : "culture" devient le terrain du différend. Ces termes sont exacts, pour moi. Culture et non, par exemple, dit-il, religion. "Hyper-politisation, hyper-idéologisation, de la culture même". Oui. De même, nous prenant en pince par l'autre côté : les politiques de la culture, instrumentalisation de la culture pour la droitisation : voir Manière de voir, Les Droites au pouvoir, oct-nov 2007)
Brossat propose : un travail philosophique, contre un discours d'époque (clichés de la société liquide, du métissage, etc. - mais l'actualité des envenimements des différentiels, et la banalisation du différentiel). Travailler l'envers d'un discours d'époque, par la philosophie. Physionomie d'un défi actuel : penser le statut du différentiel, pose-t-il -- certainement, et les termes proposés sont bien acérés ici en effet. Mais : "passer par la philosophie", pour une "lutte féroce contre le monde de la communication", et son "habermassisme de bazar" (prenant éventuellement, opportunément, internet pour modèle et emblème, du tout-compatible). "Un courage philosophique maintenant", certainement. La philosophie a à répondre dans l'actualité ; c'est parce qu'elle le peut qu'elle est pertinente, et fait culture. Mais la spécificité de son travail, là ?
Quelle philosophie de la culture comme altérité ? En quoi la philosophie philosophise la culture comme les cultures, contradictoirement à la Communication, et par la perspective langagière de la traduction ?

La question est cousine de celle que je me pose aussi, comme chercheur en littérature étrangère, au sujet du concept de cultural translation, qui lui met en jeu d'autres discours disciplinaires, soit d'autres plans où se pensent l'actualité du rapport langage-société : cultural studies, anthropologie, etc. Ici aussi, la question du langage au coeur de celle de la traduction a cette tendance à l'effacement - une tentation facilitée en anglais puisque translation, dès les débuts de sa conceptualisation pour la postcolonial theory, a ouvert la possibilité de confondre les plans du langage et de la vie des sujets (avec la notion de "translated men", que Bhabha reprend à Rushdie). Ce continu théorique ouvert est une grande force critique contemporaine : mais seulement si il tient bien ensemble les deux plans pour former un "bloc", au sens de Deleuze - agencement collectif d'énonciation qui fraye des lignes de fuite précieuses dans la muraille de l'idéologie communicationnelle. Sinon le risque est simplement de voir se recomposer le sujet autonome, prêt au "commun" du sensus communis.

mercredi 26 septembre 2007

Action, oeuvre, travail

Croisé ce matin une intuition remarquable, petite percée à la B. Cassin, capable de frayages au long cours, c'est-à-dire ouvrant du devenir ; coup d'historicité : à propos des lectures des Grecs (soit, du rapport entre philosophie et politique) faites par Heidegger d'une part et, très-s'écartant, par Arendt d'autre part : "Qu'il doive s'agir en politique de penser le jugement à partir du goût [le goût dans son mode sophistique : non pas celui de l'arbitraire subjectif, mais celui de la persuasion, création continuée du consensus], pose de manière aigüe le problème du rapport entre esthétique et politique, entre l'oeuvre et l'action dans la cité". (L'Effet sophistique, 263) Symptomatiquement, Heidegger choisissant d'étudier la poésie tragique de Sophocle, Arendt la prose historique de Thucydide.

Action et oeuvre ; vie politique (et participation à la décision politique) et vie culturelle, vie du sujet dans la discursivité. Un continu qui tire loin des pièges classiques qui séparent en pinces tendues le philosophique et le politique, le penser et le faire, l'intellectuel et la société.
C'est qu'il y a, pour commencer par là, plusieurs modes de l'intellectuel : le sophiste n'est pas le philosophe. Et c'est pour ça même que la philosophie n'est pas le tout de la pensée. Il y a cette détotalisation à faire, patiemment, continûment. Tenir la philosophie dans ses propres trajets, et ne pas les confondre avec le terrain. Tenir la philosophie dans son plan conceptuel et dans son histoire, en ce qu'elle contribue à tenir cette extopie de la pensée ; qu'elle l'effectue.
L'oeuvre, comme activité (c'est le terme chez Meschonnic, pour montrer simplement le passage de l'oeuvre-objet à l'oeuvre-transsujet) ; comme action (praxis - à voir) ; comme travail.
Il y a beaucoup à déplier ici. L'oeuvre, comme point de vue depuis lequel reconsidérer l'action, et le travail. Tous deux, d'ailleurs, pris dans une actualité à plusieurs niveaux de profondeur : immédiate et pas vraiment anecdotique(l'hyperactivité comme politique), et en point d'orgue sur du mouvement lent (les mutations du travail, y compris par les nouveaux rapports du travail avec le savoir).

Industrie de la valeur - l' "évaluation"

Je découvre graduellement, mais dans sa vitesse un peu sidérante, une immense activité de production de la valeur, et de systématisation d'un mode de la valeur - soit, la consolidation diligente d'une idéologie -, qui concerne directement les chercheurs, enseignants ou non (mais est très mal diffusée auprès d'eux - il y a tout un système d'opacité, spécifique, qui en est le contexte mais aussi l'outil. La sidération est une mise au silence, aussi). Concerne directement les acteurs nationaux du savoir, sa fonction publique. Une industrie, technocratique mais regardant vers le privé, comme beaucoup de la technocratie actuelle (européenne par exemple), de la valeur du savoir, avec ses divers modes, organes, lieux, responsables, affiliations ; et ses allégeances qui mélangent les genres.

L'évaluation, outil politique agressif, et destructeur en profondeur. Crible par lequel les universités (et le CNRS) sont contraintes à passer, pour en ressortir transformées du (presque) tout au tout, et le rapport de la société et du savoir remodelé. Le rapport signifiant méconnaissable. On appelle ce processus diversement Europe, ou mondialisation. Ou modernisation. La modernité de la connaissance, et son Brave New World.

Les agents, les modes, les formes de cette industrie sont à connaître et à analyser soigneusement, dans le détail. Les enjeux y sont partout bien saillants, et partout déterminants. Je retiens en particulier l'existence et l'espèce d'énergie affamée (on connaît ces dévoreurs depuis plus longtemps dans le secteur du business - ici l'énergie semble venir simplement d'un bon vent en poupe venu des gouvernements successifs dans la logique de l'Europe-connaissance) d'un nombre remarquable d'organismes, au statut trouble, précisément. Statuts entre-deux, et opérateurs de mélange du public et du privé. Bascule de la valeur, toujours plus de domaines de la valeur (ici maintenant, la valeur sémantico-scientifique), dans la logique du privé. Statut, et outils, qui technologisent la valeur. Ce sont les lieux actuels de la valeur de la recherche et du savoir : lieux où elle se négocie socialement et se détermine. Organes, ou machines, de la légitimité. Question, alors : la légitimité de ces légitimeurs?

. OST : un Observatoire des Sciences et Techniques (naissance 1990), groupement d'intérêt public de droit privé (statut caractéristique, créé en 1982, et que je rapporte pour ma question à cette autre forme privatisante d'organisation du savoir, le think tank), a mission ministérielle pour fabriquer des outils, indicateurs et mesures bibliométriques, pour l'évaluation de la recherche.
. WOS : Web of Science (outil commercial, de l'éditeur Thomson. Son slogan/logo : "Transforming Research". Quite). C'est l'un des cribles, et l'un des produits de ce système de la valeur, lui-même outil immensément puissant pour en propager le réseau. Par lui qu'on veut être déterminé, qu'on veut déterminer le système de la valeur scientifique. L'Europe cherche à s'y accrocher en demandant une fusion des revues indexées par ERIH : European Reference Index for the Humanities (tel que présenté par exemple sur le site web du Arts and Humanities Research Council britannique) Extrêmement intéressant, les listes et classements produits par ERIH - on attend avec impatience celles qui concernent les disciplines non encore processed.
. puis : les producteurs d'indicateurs mis en place dans l'institution scientifique par les politiques de la recherche récentes : AERES, pour nous principalement. Avec le Research Assessment Exercise (intéressant que l'organe ne se désigne que par son processus), le Royaume Uni a fait son système depuis longtemps : sans doute il est en perfection continue de ces outils de la nouvelle valeur : http://www.ahrc.ac.uk/about/ke/evaluation/quality_assessment.asp

. autres aspects : les indicateurs ont vocation comparative. C'est l'ouverture d'un plan conceptuel-idéologique pour la league table et la compétition moins internationale que mondialisée : transtionale, précisément. Où la question de la nation et des nations tombe. Un comparatisme qui verse vers la compétition.
. des questions soulevées au passage de ce rouleau-compresseur : le rapport entre évaluation et expertise (indicateurs / collectifs publics de pairs ; "représentativité" par quantification / représentation démocratique) ; le rapport entre "impact" (as in impact factor) et valeur ; le rapport des sciences "dures" / "humaines" (déjà classique, mais aussi changeant de valeur culturelle à toute vitesse) ; le rapport de la recherche à la publication ;
. les mots de l'évaluation (mots d'ordre, "vocabulaire", mots de bois) : impact factor, esteem indicators, indicateurs, les chercheurs "actifs" et "publiants", research environment, research output (interesting symptom), performances, ...

Evaluation (soit : le formatage de la valeur scientifique et de la valeur sociale du scientifique par ce paradigme - un bloc de savoir-pouvoir), et knowledge management.
Ce sont des éléments clés de la nouvelle dispensation pour la question de l'intellectuel, et du travail intellectuel, ici maintenant.

dimanche 16 septembre 2007

Société de la connaissance

Quelques premiers repères :

. le Rapport Lévy-Jouyet (2006), sur l'économie de l'immatériel (Védrine aussi le cite, dans son propre Rapport pour le Président de la République sur la France et la mondialisation, sept. 2007)
. la "stratégie de Lisbonne", comme point d'attache du discours de l'UE : faire de celle-ci "l'économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique du monde d'ici à 2010, capable d'une croissance économique durable accompagnée d'une amélioration quantitative et qualitative de l'emploi et d'une plus grande cohésion sociale."

. mots clés et enjeux : NTIC, société de l'information migrée en société de la connaissance, économie post-industrielle ; (économie de, soit capitalisation de, et appropriation de) la connaissance, le savoir, le savoir-faire, l'immatériel (et le tertiaire et les services), les actifs immatériels (comptabilisés dans la LOLF, et régulés par l'APIE : Agence du patrimoine immatériel de l'Etat, créé en 2007), la propriété intellectuelle (quelles nouvelles synonymies idéologiques là, et ce qu'elles rendent inaudible par rhétorique d'amalgame), passage de la dyade marxienne travail + capital à un dispositif en 3 : y ajouter un "capital-savoir" ou "valeur-savoir" (et un déplacement du concept de patrimoine), l'intelligence économique (what the f* ?), la gestion ou ingénierie des connaissances (knowledge management, voir Jean-Yves Prax : Le Guide du knowledge management, concepts et pratiques du management de la connaissance, Dunod 2000), humain, sémantique, idées [je n'ai pas trop trouvé : "symbolique", "marché des biens symboliques"], la politique des pôles de compétence et compétitivé ("cluster") - mais aussi l'écologie, le durable, la politique du numérique (gouvernance d'Internet et patrimoine informationnel)

J'ajoute : l'exception culturelle. Les sciences cognitives. Le "cerveau global" (what the f* ?)].
Ca tire parce que ça tend ensemble les activités marchandes et les activités des autres systèmes de la valeur. Culture.
Et parce que : le collectif et le privé. "Patrimoine" dit ça, par exemple.
Politique de la valeur, donc.

Titres recueillis dans divers articles de la vox populi Wiki :
. Nicolas-Le Strat. Mutations des activités artistiques et intellectuelles. L'Harmattan 2000
. Azaïs; Christian et al. Vers un capitalisme cognitif : entre mutations du travail et territoires. L'Harmattan, 2001.
. Groz, André. L'Immatériel. Galilée 2003.
. Moulier Boutang, Yann. "Le capitalisme cognitif. La nouvelle grande transformation", Multitutes/Idées, Amsterdam, 2007.
. Patrick Dieuaide sur la Politique des savoirs, dans Ecorev'. (2004)
. et Docforum, association lyonnaise, travaille sur l'économie du savoir, l'intelligence collective, et la gestion des connaissances.

samedi 15 septembre 2007

Question de traduction : néolibéralisme

A néolibéralisme, répond the corporate world, dans le contexte américain.
Ce sont deux histoires du "libéral", et de la liberté.
A leurs frictions, il y a beaucoup à continuer à comprendre, pour entrer dans. Dans ce qui est plus qu'un avenir ;- un "irrépressible", qui détermine une urgence, dans le mode de l'analyse que Tocqueville de la nouvelle temporalité de la démocratie.
Valeur du néo, ici.