samedi 29 septembre 2007

Histoire de la culture

La culture change, mais surtout : la culture change.
Dans les années 60-70 avec Bourdieu, on a parlé sociologiquement de la culture, comme marqueur de distinction et distributeur des classes sociales. Culture dominante, et donc - pour les cultural studies du Centre de Birmingham par exemple - la culture populaire. Insister sur l'existence active et fructueuse de whole ways of life, en travaillant à distinguer théoriquement la pensée de la culture du seul modèle, dominant-oblitérant, de la high culture. Théoriser la culture comme le processus de vie d'une société, ici et maintenant - y compris en refaisant à ce point de vue toute une histoire du rapport Culture and society dans la culture anglaise.

Sur un autre plan, traversier, dès l'après-guerre, parlé de culture de masse : l'Ecole de Frankfort exilée aux Etats-Unis : choc des cultures, pour le moins -- et déracinement des repères pour une définition de la culture comme fabrique de société. La question de l'art y joue un rôle critique, un peu douloureux. Indice de catastrophe.

La "culture" a encore changé, est de nouveau méconnaissable, parce que les plans sociaux où le concept fonctionnait ont basculé, se sont recomposés, nouveaux clivages, nouveaux champs de tension et de vie, nouveaux champs de la valeur - géométrie variée. La "culture populaire" n'est plus, par exemple, en France, aux Etats-Unis, au Royaume-Uni singulièrement puisque c'est de là que la notion-nation émanait le plus nettement [il faudrait voir dans l'histoire allemande - certainement beaucoup de matière là ; une histoire spécifique intensément éclairante pour le général], la culture populaire n'est plus donc une catégorie qui a la pertinence analytique forte qu'elle avait dans les décennies -- les décennies quoi ? Il faut sans doute dire : d'après-guerre et jusqu'aux années Thatcher, soit les décennies des socialismes démocratiques, des welfare states, des syndicats et de la validité politique du marxisme, des intellectuels ("de gauche") ? Certainement ça vire dans les années 80, avec Thatcher Reagan et le tournant libéral du socialisme français.

Mutations de la culture, mutations de la notion même de culture. Paramètres actuels : d'abord les cultures, et le multiculturalism (le postcolonial, relayé par la mondialisation - les deux comme effets de la fin du modèle Guerre froide de la géopolitique : non-alignement, et idéologie). Puis "exception culturelle" : la culture et la valeur commerciale-et-transnationale (le néo-libéralisme est une géopolitique ; la culture est nécessairement bousculée par le drainage soudain de la validité sociale du national, paradigme de la culture pour les sociétés européo-américaines depuis le 19ème). Puis la cyberculture, liée au produit culturel communication* (mais distincte de lui, et à garder telle pour continuer à sentir l'enjeu d'un départ entre forme ou dispositif, et système de la valeur : ce n'est pas le cyber- qui est destructeur de social, mais une idéologie qui s'est accolée à ce medium. Il est aussi puissant de créativité). Puis ... il y a d'autres formes et pratiques actuelles, qu'il faut continuer à rassembler et auxquelles je ne pense pas dans l'immédiat.

C'est dans cette perception des mutations de la culture qu'il faut lire et évaluer le trope, le thème, le cheval de bataille actuel, de la culture générale. Par exemple lisible dans la Lettre aux éducateurs de la première rentrée de Sarkozy, et balisée avec confiance par Le Débat. La culture générale en particulier mise en regard des "cultures lycéennes" (Dominique Pasquier, rapportant certaines analyses aux échos tocquevilliens de son Cultures lycéennes. La tyrannie de la majorité, Autrement, 2005, dans le Débat de mai-août 2007), le "décrochage culturel" (Pasquier), les "jeunes" qui mettent à mal la culture comme linchpin de la république - par la diversité communautariste, par consumérisme de masse et addiction à la communication.

Quel état de la société, des sociétés, ça donne à voir, à analyser, diagnostiquer éventuellement ; et quelle prise critique sur une idéologie par la culture, par un discours sur la culture, ça procure à une poétique qui tient le plan de l'histoire des concepts.

* je laisse ça à déplier pour une autre fois. Juste un jalon ici.

Aucun commentaire: