mercredi 26 septembre 2007

Industrie de la valeur - l' "évaluation"

Je découvre graduellement, mais dans sa vitesse un peu sidérante, une immense activité de production de la valeur, et de systématisation d'un mode de la valeur - soit, la consolidation diligente d'une idéologie -, qui concerne directement les chercheurs, enseignants ou non (mais est très mal diffusée auprès d'eux - il y a tout un système d'opacité, spécifique, qui en est le contexte mais aussi l'outil. La sidération est une mise au silence, aussi). Concerne directement les acteurs nationaux du savoir, sa fonction publique. Une industrie, technocratique mais regardant vers le privé, comme beaucoup de la technocratie actuelle (européenne par exemple), de la valeur du savoir, avec ses divers modes, organes, lieux, responsables, affiliations ; et ses allégeances qui mélangent les genres.

L'évaluation, outil politique agressif, et destructeur en profondeur. Crible par lequel les universités (et le CNRS) sont contraintes à passer, pour en ressortir transformées du (presque) tout au tout, et le rapport de la société et du savoir remodelé. Le rapport signifiant méconnaissable. On appelle ce processus diversement Europe, ou mondialisation. Ou modernisation. La modernité de la connaissance, et son Brave New World.

Les agents, les modes, les formes de cette industrie sont à connaître et à analyser soigneusement, dans le détail. Les enjeux y sont partout bien saillants, et partout déterminants. Je retiens en particulier l'existence et l'espèce d'énergie affamée (on connaît ces dévoreurs depuis plus longtemps dans le secteur du business - ici l'énergie semble venir simplement d'un bon vent en poupe venu des gouvernements successifs dans la logique de l'Europe-connaissance) d'un nombre remarquable d'organismes, au statut trouble, précisément. Statuts entre-deux, et opérateurs de mélange du public et du privé. Bascule de la valeur, toujours plus de domaines de la valeur (ici maintenant, la valeur sémantico-scientifique), dans la logique du privé. Statut, et outils, qui technologisent la valeur. Ce sont les lieux actuels de la valeur de la recherche et du savoir : lieux où elle se négocie socialement et se détermine. Organes, ou machines, de la légitimité. Question, alors : la légitimité de ces légitimeurs?

. OST : un Observatoire des Sciences et Techniques (naissance 1990), groupement d'intérêt public de droit privé (statut caractéristique, créé en 1982, et que je rapporte pour ma question à cette autre forme privatisante d'organisation du savoir, le think tank), a mission ministérielle pour fabriquer des outils, indicateurs et mesures bibliométriques, pour l'évaluation de la recherche.
. WOS : Web of Science (outil commercial, de l'éditeur Thomson. Son slogan/logo : "Transforming Research". Quite). C'est l'un des cribles, et l'un des produits de ce système de la valeur, lui-même outil immensément puissant pour en propager le réseau. Par lui qu'on veut être déterminé, qu'on veut déterminer le système de la valeur scientifique. L'Europe cherche à s'y accrocher en demandant une fusion des revues indexées par ERIH : European Reference Index for the Humanities (tel que présenté par exemple sur le site web du Arts and Humanities Research Council britannique) Extrêmement intéressant, les listes et classements produits par ERIH - on attend avec impatience celles qui concernent les disciplines non encore processed.
. puis : les producteurs d'indicateurs mis en place dans l'institution scientifique par les politiques de la recherche récentes : AERES, pour nous principalement. Avec le Research Assessment Exercise (intéressant que l'organe ne se désigne que par son processus), le Royaume Uni a fait son système depuis longtemps : sans doute il est en perfection continue de ces outils de la nouvelle valeur : http://www.ahrc.ac.uk/about/ke/evaluation/quality_assessment.asp

. autres aspects : les indicateurs ont vocation comparative. C'est l'ouverture d'un plan conceptuel-idéologique pour la league table et la compétition moins internationale que mondialisée : transtionale, précisément. Où la question de la nation et des nations tombe. Un comparatisme qui verse vers la compétition.
. des questions soulevées au passage de ce rouleau-compresseur : le rapport entre évaluation et expertise (indicateurs / collectifs publics de pairs ; "représentativité" par quantification / représentation démocratique) ; le rapport entre "impact" (as in impact factor) et valeur ; le rapport des sciences "dures" / "humaines" (déjà classique, mais aussi changeant de valeur culturelle à toute vitesse) ; le rapport de la recherche à la publication ;
. les mots de l'évaluation (mots d'ordre, "vocabulaire", mots de bois) : impact factor, esteem indicators, indicateurs, les chercheurs "actifs" et "publiants", research environment, research output (interesting symptom), performances, ...

Evaluation (soit : le formatage de la valeur scientifique et de la valeur sociale du scientifique par ce paradigme - un bloc de savoir-pouvoir), et knowledge management.
Ce sont des éléments clés de la nouvelle dispensation pour la question de l'intellectuel, et du travail intellectuel, ici maintenant.

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